Marine Le Pen fait un tabac au cul des vaches

Opération charme de la présidente du FN au Salon de l’Agriculture à Paris. Mais pourquoi les politiciens doivent-ils chaque année salir de bouse leurs escarpins?

«Protection»… «Europe»… «On vous comprend»… «C’est sûr, vous pouvez compter sur nous»… Au Salon de l’Agriculture à Paris, Marine Le Pen flatte d’une main un peu distraite l’encolure d’Evan, une superbe Normande de 7 ans qui vient du village de La Bazoche-Gouet dans le Perche. Les bovidés ne votant pas, c’est surtout à son propriétaire-éleveur, François Guéret qu’elle s’adresse (photo JNC Marine Le Pen et M. Guéret).

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Au cul des vaches, la patronne du FN a fait un tabac auprès des agriculteurs, durant la journée d’hier; presqu’à l’image de Jacques Chirac qui fut jadis le grand amour politique de la paysannerie française. L’éleveur François Guéret a-t-il été convaincu par les propos de Marine Le Pen? «J’aime bien ce qu’elle dit. Elle parle vrai. Les candidats à la présidentielle, on va tous les écouter, bien sûr. Mais en s’attaquant à la PAC, elle vise juste». Pourtant, la PAC – Politique agricole commune de l’Union européenne – s’est révélée bénéfique à l’agriculture française, non? «Pas du tout, mon cher Monsieur! La PAC a profité à la grande distribution alimentaire, pas à nous. Et justement, Marine Le Pen veut s’attaquer aux grandes surfaces et faire de cette action une priorité nationale».

«La France d’avant» et l’importance du vote paysan

Mais, si elle parvient au pouvoir, osera-t-elle s’attaquer à l’une des branches les plus pourvoyeuses d’emplois? D’autres s’y sont cassés des dents. Si François Guéret adhère aux intentions de Marine Le Pen, il n’en reste pas moins les pieds bien plantés sur terre: «Ce qu’elle dit nous rassure, mais on se méfie. Il faudra voir à l’usage. Mais enfin! Il est temps de reprendre les choses en main, que l’on durcisse la politique et que l’on retrouve la France d’avant».

Le Front national surfe sur cette nostalgie de la «France d’avant». Et le vote agricole représente encore 8% du corps électoral. D’où la présence de Marine Le Pen à ce salon, «plus grande ferme de France». Jusqu’en 2012, le parti d’extrême-droite était ignoré par le monde de la terre qui privilégiait le centre ou la droite de gouvernement, voire le «communisme rural» dans certaines contrées comme le Limousin et le Périgord. Puissant jadis, il y a disparu en même temps que les petites exploitations familiales. Aux élections de 2012, pour la première fois, le vote paysan en faveur de Marine Le Pen a dépassé la moyenne nationale (19,5% contre 18%). Et depuis, ce phénomène n’a fait que prendre de l’ampleur. Aujourd’hui, selon un sondage BVA, 36% des agriculteurs se disent prêts à voter Marine Le Pen à l’élection présidentielle de l’an prochain.

Pourquoi ? Les explications sont nombreuses, telle la désertification du milieu rural, tout d’abord. Lorsque le bureau de poste et l’école, puis la boulangerie et le docteur ferment boutique, le sentiment d’être dépossédé déprime des pans entiers de la ruralité. Il s’accentue lorsque les agriculteurs sont balayés par la mondialisation à laquelle personne – et surtout pas leurs syndicats – ne les a préparés. Récent coup de grâce: la chute des prix agricoles qui a précipité dans la faillite de nombreuses exploitations.

Mieux vaut être hué qu’absent

Dès lors, pourquoi le président François Hollande, le chef du gouvernement Manuel Valls et d’autres ministres prennent-ils le risque de salir de bouse leurs escarpins et surtout d’affronter les huées au Salon de l’Agriculture? La sphère politico-médiatique ne s’intéresse guère au monde rural. Mais chaque année, l’attention du public se focalise avec ravissement sur d’adorables petits veaux et de jolis moutons. Cette nostalgie de style un peu Marie-Antoinette a fait le succès considérable de ce salon auprès des citadins. C’est aussi le moment où la France renoue avec les racines ancestrales d’une nation restée paysanne au fond de son âme. Pour un dirigeant politique mieux vaut s’y faire conspuer que d’y renoncer et de se faire taxer de lâche.

Jean-Noël Cuénod

Article paru mercredi 2 mars dans la Tribune de Genève et 24 Heures

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