Le Front national et la nostalgie de la famille politique

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Parmi les multiples raisons qui font le succès du Front national, il en est une qui mérite d’être examinée. Elle a trait à la notion de famille politique. Ce n’est pas le caractère nettement népotiste de ce parti – il n’est pas d’exemple dans les pays démocratiques d’un parti aussi colonisé par une seule famille – qui nous intéresse en l’occurrence, mais cet « être ensemble » qui fait d’une formation politique un lieu de convivialité sociale.Faire de la politique, ce n’est pas seulement défendre des projets destinés à améliorer le gouvernement des êtres et des choses et à mettre un bulletin dans l’urne.C’est aussi accomplir ces petites besognes militantes qui vont de la gestion des réseaux sociaux (l’époque du collage des timbres est un peu dépassée), du porte-à-porte dans les immeubles (le pire des accueils y côtoie le plus chaleureux), au collage d’affiches (qui peut tourner en baston). C’est aussi participer aux réunions de section (de cellule à l’époque du communisme triomphant) dans l’arrière-salle des bistrots, à la préparation des meetings (mais qui a oublié de brancher la sono, hein ?)

Cet ensemble d’activités crée un esprit de famille, de famille politique, une chaleur collective, une convivialité qui, en France, a fait la force, jadis, du Parti communiste, mais aussi, contrairement à ce que l’on croit, des partis gaullistes (sous leurs différentes dénominations) et socialiste (sous leur ancien nom, SFIO– Section française de l’Internationale ouvrière).

Le tournant de 1962

En instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel en 1962, le général de Gaulle a centré toute la vie politique sur ce moment électoral. En effet, la France est le pays démocratique où le pouvoir est le plus concentré dans les seules mains du chef de l’Etat. Cela fait du président, un Louis XIV électif. Tout découle de cette élection, notamment les législatives. Dès lors, les partis de gouvernement se sont mués en écuries présidentielles. Petit à petit, le projet politique a été remplacé par les stratégies de communication. Une mentalité de type marketing s’est installée, c’est-à-dire que l’écurie présidentielle adapte son projet en fonction de l’air du temps et non pas en vertu des nécessités de l’époque. On cherche à se distinguer médiatiquement par des petites phrases mais le fond de l’action politique est devenu flou et quasi-interchangeable. C’est ainsi que les socialistes François Hollande et Manuel Valls appliquent des mesures semblables à celles que pourraient prendre n’importe quel leader de la droite libérale.

Evacuation du politique. Evacuation des militants

Cette évacuation du politique a pour corollaire celle des militants qui n’ont plus leur place dans ce dispositif désormais réservé aux professionnels de la communication et aux permanents.

Quant à ce nid de militants dévoués et souvent efficaces qu’était le Parti communiste français, il a été emporté dans la chute de l’empire soviétique. Or, ces militants rouges faisaient aussi vivre ces banlieues que l’on dit aujourd’hui déshéritées et qui ne l’étaient pas tant que ça dans les années 1960 et 70. Ces communistes de la base aidaient les gens à remplir leurs formulaires, à se mouvoir dans les méandres de l’administration, les conseillaient pour faire valoir leurs droits. Ils exerçaient aussi un sorte de contrôle social lorsque tel ou tel habitant troublait le quartier: «Dis donc camarade, tu pourrais mettre ta télé moins fort le soir ; tes voisins doivent se lever tôt pour aller bosser».

Aujourd’hui, ces militants communistes ont été remplacés par des dealers ou des intégristes de l’islam qui peuvent d’ailleurs être les deux à la fois.

Le Front national occupe le terrain

Les héritiers – de plus en plus lointains – du gaullisme et du socialisme démocratique ayant abandonné, et la politique et les militants, le Front national s’est empressé d’occuper le terrain ainsi délaissé. En une année, le FN a doublé le nombre de ses militants passant de 40 000 à 83 000 actuellement. Certes, tous les partis mentent de façon infantile sur ce genre de statistiques et on ne voit pas par quel miracle déontologique les frontistes échapperaient à ce vice commun. Mais il est manifeste que les adhésions progressent fortement au bénéfice de ce parti. Il n’est qu’à voir leurs permanences souvent bien remplies.

En suivant leur congrès et leurs manifestations, il est frappant de constater la convivialité qui y règne. L’esprit «famille politique» s’est éteint à droite et à gauche, le voilà ranimé à la flamme du Front national. Ce parti ne considère pas le militant comme une quantité négligeable et lui donne un rôle à jouer, des missions à accomplir. Faire vibrer la toile des réseaux sociaux est nécessaire mais pas suffisant. Au fur et à mesure que s’étend la virtualité induite par les nouvelles technologies, le besoin de rapports humains et directs s’accroît. Le FN l’a bien compris.

Cela dit, ce militantisme retrouvé est mobilisé en faveur de causes néfastes pour la société, telle l’exclusion, la xénophobie et le racisme qui restent le fond de la mentalité FN comme le démontre la lecture des prises de positions des élus de base sur Twitter et Facebook.

Pour opposer résistance à ce mouvement, il est indispensable que les partis de gauche et de la droite libérale retrouvent le chemin du militantisme et changent leur logiciel d’écurie présidentielle pour le remplacer par celui d’un vrai parti où l’humain n’est pas qu’une fleur de rhétorique mais en constitue la substantifique moelle. Bien du pain sur une longue planche !

 Jean-Noël Cuénod

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