La Grèce, première victime de la dictature molle (1)

 

Salvador-Dali-

Le véritable symptôme que révèle le diktat imposé à la Grèce par la Germaneurope n’est pas la dette colossale – et inremboursable ­– d’Athènes. Après tout, il y a eu d’autres exemples de ce genre dans l’Histoire. A commencer par les dettes allemandes au XXe siècle qui n’ont jamais été intégralement remboursées. En fait, l’affaire grecque met au grand jour cette dictature molle dont on sentait la croissance depuis plusieurs années mais qui aujourd’hui apparaît au grand jour. Molle, cette dictature, car elle n’a pas (encore ?) besoin d’instaurer un ordre violent pour s’imposer. Elle préfère le doux consentement des ex-citoyens confits dans leur indifférence.

De même, elle ne brise pas les institutions démocratiques mais les vide de leur substance, petit à petit, sans faire trop de tintamarre. Les Grecs ont-ils choisi un gouvernement anti-austérité ? La dictature molle va manœuvrer en sorte de contraindre les nouveaux élus à renier leur programme pour appliquer, non pas le mandat du peuple, mais celui édicté par la Germaneurope, représentant régional de la dictature molle.

Pour comprendre comment elle s’est instaurée, reprenons le fil de l’Histoire. Après la grande dépression de 1929, la capitalisme industriel, bien ébranlé, a commencé à accepter le «moment social-démocrate» pour sauver ses meubles. Ce «moment» a été illustré Etats-Unis par la politique interventionniste du président démocrate Roosevelt. Dans un registre plus modeste, les industriels suisses ont fini par accepter la Paix du Travail en 1937 et la généralisation des conventions collectives; en France, le Front populaire a pris d’importantes mesures sociales (les congés payés, notamment) entre 1936 et 1938.

A la Seconde Guerre mondiale, a succédé la période de reconstruction où le capitalisme industriel avait besoin du «moment social-démocrate» pour se développer sans trop de heurts avec ses imposantes troupes prolétariennes. Plus tard, la peur inspirée par l’empire soviétique a convaincu ce capitalisme industriel de continuer à supporter le «moment social-démocrate», en acceptant des réformes sociales destinées à détourner la classe ouvrière de la tentation de Moscou.

Ce type de capitalisme, basé essentiellement sur l’industrie ­– la finance se plaçant au service de son développement – a amorcé son déclin vers la fin des années 70. Durant les années 80, la finance est devenue de plus en plus autonome vis-à-vis de l’industrie. Il est frappant de constater qu’elle a inventé le concept de «produits financiers» destinés à être vendus comme des biens de consommation. Auparavant, lorsqu’on parlait de «produits», on pensait «voitures», «ampoules électriques», «médicaments» mais certes pas «contrats à négocier sur le marché des capitaux».

Pendant la décennie 80, les nouvelles technologies ont magnifiquement servi au développement du capitalisme financier qui, désormais, a supplanté le vieux capitalisme industriel. Dès lors, pourquoi s’encombrer du «moment social-démocrate» ? Il est devenu d’autant moins nécessaire que l’Empire soviétique craquait de toutes parts, avant de s’effondrer dès le début des années 90. Le Bolchévique au couteau entre les dents n’était plus qu’un ectoplasme.

Devant ce constat, le couple infernal Reagan-Thatcher a fait en sorte de donner au capitalisme financier son assise politique en effaçant le «moment social-démocrate». Reagan a consciencieusement démantelé les acquis sociaux du New Deal de Roosevelt ; Margaret Thatcher en a fait de même en détruisant la plupart des mesures prises par les travaillistes et en muselant les syndicats.

Reagan-Thatcher juraient de leur attachement à la démocratie, à preuve, leur volonté d’abattre la dictature soviétique. Mais en fait, ces deux leaders de la révolution conservatrice ont initié le mouvement vers la dictature molle. En proclamant son fameux slogan TINA (There Is No Alternative), Margaret Thatcher a bien illustré cette tendance. En clair, il n’y a pas d’alternative au capitalisme financier, devenu hypercapitalisme. S’il n’y a pas d’alternative, il n’y a pas de choix. S’il n’y a pas de choix, il n’y a pas de politique. S’il n’y a pas de politique, il n’y a pas de démocratie. Nul besoin de dresser les échaffauds et de brûler les urnes. Si le peuple vote dans le bon sens, grand bien lui fasse. S’il vote dans le mauvais, il sera tout naturellement conduit vers le droit chemin, les Etats n’ayant plus les moyens de s’opposer aux puissances financières supranationales.

Si ce phénomène est apparu dans toute sa clarté en Grèce, c’est en raison de ses faiblesses particulières. Dans la plupart des autres pays occidentaux, l’Etat a quelques vestiges qui peuvent encore donner l’illusion d’un pouvoir, certes vacillant. Mais, pour sauver les apparences, la Grèce moderne ne peut même pas s’appuyer sur les ruines d’un Etat digne de ce nom, un Etat qui n’a jamais existé depuis l’indépendance obtenue en 1830.

Le «moment social-démocrate» est bien mort. Il a rejoint au cimetière des idéologies perdues, le libéralisme, lié au capitalisme industriel. Aujourd’hui, l’hypercapitalisme financier impose, mine de rien, sa dictature molle. Existe-t-il un moyen pour sortir de cette situation ? Nous verrons ça dans le prochain blogue du Plouc intitulé : «De l’énergie cupide ou de la grande trouille climatique, qui l’emportera?»

Jean-Noël Cuénod

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1 réflexion sur « La Grèce, première victime de la dictature molle (1) »

  1. Ce rappel historique, clair et synthétique , est plus qu’utile.
    Pour la Grèce, on peut déplorer l’absence de culture française et européenne sur l’histoire récente de ce pays : guerre civile dans les années 1944-47, mainmise successive de deux grands partis également corrompus, dictature des colonels 1967-1974…beaucoup de souffrances pour un peuple fier et résistant, sans compter le poids de l’Eglise.
    Où sont passées les voix des Français qui fréquentaient ce pays superbe et hospitalier dans le dernier quart du 20° siècle? A quand des voix claires pour s’élever contre le sort infâme fait au peuple grec : 1/4 sans sécurité sociale, plus de médicaments, enfants dénutris, immobilier bradé aux investisseurs riches… Est-ce ce que nous voulons : faire mourir nos frères, nos amis???

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