Israël-l’état de droit survit à l’état de guerre

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Une des manifestations en Israël contre le projet de réforme judiciaire ©AFP via 20min.ch

La Cour Suprême d’Israël a donc abrogé la disposition-phare de la réforme judiciaire ourdie par le premier ministre Netanyahou; elle aurait permis à son gouvernement d’extrême-droite d’éviter le contrôle de la justice. Deux leçons à tirer de cette décision. En Israël l’état de droit s’impose malgré l’état de guerre. Et les garde-fous de la justice se révèlent plus indispensables que jamais.

La droite israélienne du Likoud, alliée aux pires formations d’extrême-droite et d’intégristes religieux, avait fait adopter par le parlement (la Knesset) une loi interdisant à la justice d’examiner les décisions du gouvernement sous l’angle de leur « caractère raisonnable ».

C’était la clef de voûte de tout un ensemble de mesures visant à vider de sa substance l’état de droit en Israël rabaissant ainsi cette démocratie de haut niveau au rang de pays comme la Hongrie qui, avec son régime dit « illibéral », sombre vers la démocrature.

Malgré la guerre

Or, lundi la Cour Suprême israélienne a jeté cette loi dans le vide-ordure. Certes, de justesse – huit juges contre sept – mais il ne devait pas être aisé de prendre une telle décision contre un gouvernement qui mène une guerre.

Dans la plupart des Etats démocratiques – ne parlons même pas des tyrannies, des démocratures et des autres Etats du Proche-Orient – les juges de ce niveau auraient, soit renvoyé l’examen du dossier au retour de la paix, soit accepté la loi en sacrifiant leurs principes sur l’autel de l’unité nationale en période d’affrontement militaire.

La démocratie ne blanchit pas l’Etat de ses dérives

Que la politique actuelle de Netanyahou se révèle inepte et indigne, que ses bombardements massifs sur Gaza sèment l’horreur et la haine, c’est une chose.

Mais on ne saurait placer à égalité de traitement une démocratie réelle et vivante, tel l’Etat d’Israël, avec des mouvements de type mafieux et fascistes comme le Hamas ou des Etats terroristes comme l’Iran.

Certes, le fait d’être démocrate ne blanchit aucun Etat de ses monstruosités. Les démocraties aussi tuent, déstabilisent, voire massacrent. Etre tué par un démocrate ou par un dictateur ne change rien pour celles et ceux qui figurent au nombre des victimes.

Abyssale différence entre démocratie et dictature

Toutefois, entre une démocratie, même coupable, et un régime autoritaire ou totalitaire, la différence reste abyssale.

En démocratie, il est possible de dénoncer les dérives  de l’Etat sans que cela vous conduisent en camp dans l’Arctique ou pendu à une grue à Téhéran.

Lorsque des centaines de milliers de manifestants protestent en Israël contre le gouvernement, ils ne risquent rien. En Iran ou ailleurs, c’est la mitraille qui les fauche.

Cela dit, la démocratie est incomplète sans l’état de droit qui instaure un système qui protège le citoyen contre tous les abus qu’un Etat, même démocratique, peut commettre contre lui, qui garantit sa liberté d’expression et d’être informé hors propagande.

« Démocraties illibérales »

Les médias parlent de « démocraties illibérales » pour évoquer les Etats dont les dirigeants sont élus mais instaurent un pouvoir autoritaire qui peut se retourner contre le citoyen sans que celui-ci possède les moyens ni de se protéger ni se défendre.

Le terme est fort peu approprié. Dans ce régime dit « illibéral » la démocratie n’est que de façade. Si les dirigeants maîtrisent tous les médias et utilisent toutes les pressions possibles sur les votants, on ne saurait parler d’élections libres.

En fait, il s’agit d’Etats autoritaires qui peuvent fort bien devenir totalitaires, c’est-à-dire exerçant une emprise totale sur chacun de ses sujets (on ne peut plus parler de citoyens en cette occurence).

Le choix des juges suprêmes

Pour éviter de sombrer dans ce cauchemar politique, l’état de droit prévoit des contre-pouvoirs qui sont à même de brider l’hybris qui reste la tentation permanente de tout gouvernement.

Il faut qu’une instance judiciaire puisse lui dire que telle décision est, soit contraire à la loi fondamentale de l’Etat, soit comme dans le cas israélien, déraisonnable.

D’aucuns rétorqueront que le gouvernement est élu, au moins par le parlement, ce qui le rend plus légitime que les juges qui ne le sont pas (sauf en partie aux Etats-Unis et en Suisse).

Or, le fait que ces juges  suprêmes ne soient pas élus, contrairement au pouvoir politique, serait plutôt une bonne chose dans la mesure où ils ne sont pas soumis à la pression électorale.

Les élus n’ont souvent comme vision que celle de leur agenda.

Les juges des Cours Suprêmes – ou leurs équivalents – sont choisis en fonction de critères qui changent selon les pays. Tout système de ce genre est critiquable mais enfin, il fonctionne dans la plupart des démocraties.

Garde-fou au sens premier!

Par exemple, en Israël, c’est le président de l’Etat – qui ne joue pas de rôle politique – qui nomme les juges de la Cour Suprême, sur propositions d’une Commission de sélection des juges. Dans cette commission, le gouvernement et la coalition parlementaire qui le soutient dispose de trois sièges (deux ministres et un député), le pouvoir judiciaire, trois, le Barreau israélien, deux et l’opposition, un seul (voir l’article de The Times of Israël).

La Cour Suprême, en conservant le droit de juger une décision du gouvernement sur son « caractère raisonnable », réaffirme son rôle essentiel de garde-fous.

A une époque où nombre de gouvernants délirent dans la démesure, le mot « garde-fou » prend tout son sens!

Jean-Noël Cuénod

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