Le mot «populisme» est à la politique ce que la feuille de vigne est à l’art pictural: un écran disposé pour cacher l’essentiel. Un mot pâte à modeler qui permet d’enduire aussi bien Mélenchon que Marine Le Pen ou en Allemagne Die Linke et Alternativ für Deutschland. Un mot devenu tellement imprécis qu’il ne veut plus rien dire. Il occulte surtout cette réalité : la montée des fascismes nouveaux.
D’aucuns bannissent aujourd’hui le terme de « fascisme » pour le cantonner strictement dans un moment de l’histoire, entre les années 1920 et 1940. Un bon moyen de ne pas appeler un chat, un chat. Un utile stratagème de rhétorique pour avancer masqué.
Bien entendu, le nouveau fascisme n’est pas la copie conforme de son ancêtre en ligne directe. Il s’est adapté aux changements. Surtout, il s’est lui aussi mondialisé et prend diverses formes en fonction de ses lieux d’activité : en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, dans les pays arabo-musulmans. Il exige le pluriel. Au centre de ces fascismes contemporains, on trouve les mêmes fondements que ceux qui ont animés leurs ancêtres et notamment ces deux notions cruciales : la nostalgie et le rejet.
La nostalgie exacerbée d’un autrefois mythique qu’il convient de rendre présent ; l’appartenance communautaire et identitaire comme critère permettant de distinguer le bon grain – « nous » – de l’ivraie – les « autres » qui peuvent être juifs, noirs, musulmans, chrétiens, athées ou étrangers en général, selon les lieux et circonstances.
Alors que Mussolini, Hitler et Franco honnissaient la démocratie, les nouveaux fascistes semblent la glorifier, du moins en Europe. Ils ne cherchent pas à établir une dictature au sens classique du terme mais projettent plutôt l’instauration d’un Etat autoritaire avec une démocratie de faible intensité et le moins de contre-pouvoirs possibles, d’où la persistance de leurs attaques contre le journalisme. En outre, s’ils sont prompts à célébrer le droit de vote, c’est souvent pour l’utiliser contre l’Etat de droit. Mais s’ils veulent détruire l’Etat de droit, c’est dans un but précis : conserver le pouvoir. Si les nouveaux fascistes agitent le peuple, c’est pour s’en servir et pour mieux se servir.
La démocratie est devenue pour eux un moyen. Elle ne saurait en aucun cas représenter une fin puisque leur but premier est de retrouver ou de conserver leur ordre établi. Il s’agit donc d’utiliser l’assentiment du peuple contre les garde-fous destinés à protéger ce même peuple. Il arrive trop souvent que les dindes plébiscitent Noël !
Fascismes des potentats et fascismes des salafistes
Les potentats Poutine et Erdogan constituent des modèles en la matière en créant des démocraties de façade, vidées de leurs substances par l’absence d’une presse libre et de contre-pouvoirs ainsi que par le recours à une propagande massive et quotidienne. La nostalgie d’un monde à retrouver est également omniprésente dans leurs discours. Pour Erdogan, c’est le cadavre du califat ottoman qu’il s’agit d’exhumer. Poutine, lui, présente la particularité assez finaude d’entremêler deux nostalgies d’apparence paradoxale, la grandeur des tsars et la puissance de Staline.
A la différence de leur modèle originel, les fascismes contemporains sont protéiformes. Le salafisme, par exemple, en est l’une des composantes : volonté de contraindre les musulmans à rétablir les normes en vigueur à l’époque du prophète Mohamed ; exclusion, jusqu’au massacre, de ceux qui sont étrangers à ce modèle. Le salafisme fait clairement partie de la famille des fascismes et présente sur le plan idéologique bien des points communs avec les partis néofascistes, même les plus islamophobes !
En Europe, c’est le monde d’avant la mondialisation qu’il s’agit de recréer en rejetant ceux qui sont perçus comme un obstacle à ce projet, comme les migrants. Après leurs succès en Italie et dans une mesure moindre, en France et en Allemagne entre autres, les nouveaux fascismes européens peuvent faire voler en éclats l’Union lors des prochaines élections européenne et précipiter le continent dans un chaos dont ils espèrent tirer parti.
Les nouveaux fascistes européens rejettent donc les musulmans comme les salafistes rejettent les juifs, les chrétiens et les athées. A chacun son paria de prédilection. Les uns utilisent pour l’instant l’arme du vote. Les autres choisissent le terrorisme. Mais il y a entre ces deux fascismes antagonistes une profonde parenté.
Fascismes et milices
Certes, les nouveaux fascismes européens n’exercent pas leur violence avec autant de mise en spectacle que d’autres formes, dont le salafisme. Cela dit, en Slovaquie, par exemple, (lire cet article de 24 Heures), en Hongrie (voir la vidéo ci-dessous) et ailleurs les milices d’extrême droite se multiplient. En Grèce, celles du parti néonazi Aube Dorée sont prêtes à l’usage. Et les tifosi néofascistes du Calcio risquent fort de sortir des stades pour s’en aller jouer les terreurs comme les camicie nere de Mussolini. Dont ils se réclament d’ailleurs ouvertement comme la Legade Salvini qui détient le pouvoir en Italie.
Il existe entre les partis d’extrême droite d’apparence plus ou moins présentable (comme l’UDC en Suisse, le PVV aux Pays-Bas) et les mouvements ouvertement néofascistes des variations de degrés dans l’intensité de l’action mais le fond idéologique leur est commun.
Comment faire digue à ces dingues ? S’il existait une méthode simple et infaillible, la question ne serait même pas posée. Pour commencer, bien nommer la chose. Le terme de « populisme » gomme la filiation entre les formes anciennes du fascisme et ses formes actuelles. Il existe une nébuleuse des fascismes nouveaux. Désignons-là. Mais n’en restons pas là.
(A suivre )
Jean-Noël Cuénod
ESPACE VIDEO Défilé du Jobbik en Hongrie