Europe et plan de relance: à quand la démocratie?

europe-plan-de-relance-covid-19La communication de Macron est tellement marquée par l’insincérité qu’on en vient à douter lorsque le président français proclame «historique» l’accord sur le plan de relance «covidien» de l’Union européenne. Si le qualificatif est trop galvaudé pour être retenu, ce plan constitue bel et bien une avancée importante vers une structure fédérale. Mais l’essentiel reste à conquérir : la démocratie.

Les quatre Etats dits «frugaux» ou «radins» (rayez la mention que vous jugerez inutile) – l’Autriche, la Suède, la Danemark et les Pays-Bas – ont finalement accepté ce plan de relance de 750 milliards d’euros pour tenter de parer aux catastrophes économiques et sociales provoquées par la contamination au Covid-19[1]. Certes, ils ont obtenu des concessions, à savoir des réductions substantielles de leur contribution au prochain budget de l’Union Européenne (Margaret Thatcher, sors de ces corps frugaux !). Mais c’est le lot de tous les compromis de céder sur l’accessoire, même important, pour obtenir l’essentiel. Les Etats de l’UE sont en train d’expérimenter ce que les cantons suisses vivent depuis des siècles : en fonction des situations particulières, s’allier avec les uns contre les autres sans fâcher personne.

En quoi est-il décisif, à défaut d’être historique, cet accord[2] ? Pour quatre raisons au moins.

Emprunt au nom de l’Union européenne

Tout d’abord, c’est la première fois que la Commission Européenne empruntera ces 750 milliards d’Euros sur les marchés internationaux au nom de l’UE et qu’elle les répartira sous forme de prêts et de subventions accordés aux Etats membres les plus touchés par les conséquences de la contamination covidienne. Pour utiliser ces fonds, chaque pays membre va préparer ses propres plans de relance et d’investissements qui devront, notamment, favoriser la transition énergétique. L‘Italie, qui a payé le plus lourd tribut au Covid-19, sera la première des bénéficiaires, suivie de l’Espagne, puis de la France.

Pas de droit de veto

Ensuite, aucun Etat ne disposera du droit de veto pour s’opposer aux plans de relance d’un autre Etat, contrairement à ce qu’exigeaient les «frugaux-radins». C’est la Commission Européenne (exécutif de l’UE) qui statuera sur le sort de ces plans nationaux dans un délai de deux mois. Et c’est le Conseil Européen (sommet des premiers ministres et chefs des Etats membres) qui prendra la décision finale les concernant, à la majorité qualifiée[3] . Aucun Etat ne peut donc tout bloquer à lui seul.

Ressources fiscales

Troisième raison : l’Union européenne développera ses propres ressources fiscales. Certes, les signataires de l’accord se sont bien gardés d’entrer dans les détails. Pour le moment, seule une taxe sur les plastiques a été fixée dès 2021. C’est peu. Et la taxe sur les GAFA (Google, Amazon, Microsoft, Apple) demeure à l’état de projet. Toutefois, cette modeste taxe « plastique » peut devenir l’amorce d’une véritable fiscalité européenne.

Sauvegarde de l’Etat de droit, espoir et déception

Enfin, la dernière raison est empreinte, à la fois d’espoir et de déception. Espoir : autre première de l’UE, le versement de ces fonds pourra être suspendu en cas de violation de l’Etat de droit et des principes démocratiques. Les gouvernements autoritaires et semi-démocratiques de Pologne et de Hongrie sont particulièrement visés. Déception : la suspension d’une aide pour ces motifs ne sera décidée qu’à la majorité qualifiée (voir l’appel de note numéro 3), au lieu de l’être sur demande d’un tiers des Etats membres comme cela avait été envisagé. C’est qui explique les cris de joie de Viktor Orban qui sait qu’une majorité qualifiée ne sera que très difficilement réunie. Toutefois, le simple fait que ce principe existe est en soi un léger progrès qui peut en amorcer d’autres.

Pas de fédéralisme sans démocratie

Récapitulons : nous avons une entité supranationale qui, en son nom, emprunte 750 milliards d’euros sur les marchés et les répartit à ses Etats-nations membres dont aucun ne dispose d’un droit de veto pour bloquer ce processus ; une amorce de taxe européenne est lancée ; les Etats membres devront respecter certaines règles dont le respect de l’Etat de droit. Ce n’est pas encore le saut qualitatif vers le fédéralisme mais l’U.E. s’en approche.

Parvenu à ce stade, il sera bien malaisé de revenir en arrière. Il faudra bien un jour ou l’autre envisager une délégation de pouvoirs de type fédéral afin que les pays d’Europe disposent des forces nécessaires pour affronter les Empires chinois, russe et américain puisque ce dernier lui est devenu hostile (et cela ne date pas de Trump).

Or, il n’y pas de fédéralisme sans démocratie. Lénine avait bien tenté de dessiner une architecture fédérale (largement inspirée par ses longs séjours en Suisse et son adhésion au Parti socialiste de la Confédération) à l’URSS. Mais les échelons intermédiaires, nommés par le Centre et ne faisant que d’en appliquer les décisions, n’avaient rien de commun avec les cantons helvétiques ou les Etats nord-américains. L’URSS était fédérale pour la cosmétique mais centralisatrice dans les faits.

Ajoutons qu’une structure fédérale ne suppose pas l’extinction des nations, comme nous le verrons lors d’un prochain blogue

Hélas, les institutions de l’Union européenne ne peuvent pas être considérées comme démocratiques. Si son Parlement démocratiquement élu dispose d’un peu plus de pouvoirs qu’auparavant – ce n’est pas difficile ! –, il ne fait pas le poids face à la Commission européenne, composée de technocrates, et au Conseil européen qui réunit les chefs de gouvernements chargés, avant tout, de défendre les intérêts de leur boutique nationale.

Pour ce faire, il faudra en passer par l’élaboration d’une Constitution européenne qui, contrairement à l’essai raté de 2005, devra associer les peuples de l’Union, d’une manière ou d’une autre. Et c’est sur cette base que les instruments de la démocratie européenne seront créés.

A défaut, l’U.E. restera un « machin » dépourvu de légitimité vis-à-vis de ses peuples et de représentativité face aux Empires.

Jean-Noël Cuénod

[1] Je ne me résous pas à féminiser ce coronavirus, contrairement aux recommandations de l’Académie Française. LA Covid-19, ça grince à l’oreille.

[2] Voici le texte officiel et intégral provenant de Bruxelles. Il n’est disponible qu’en anglais, alors que le français et l’allemand sont également « langues de travail » des institutions européennes. A cliquer ici.

[3]  La majorité qualifiée est atteinte lorsque d’une part, au moins 55% des États membres expriment un vote favorable sur une proposition, soit 14 sur 27 pays, et d’autre part, lorsque les Etats membres qui l’approuvent représentent au moins 65% de la population de l’UE.

1 réflexion sur « Europe et plan de relance: à quand la démocratie? »

  1. Franchement qu’est ce 40 milliards d’euros pour la France ? face à l’intérêt de la dette, des déficits des caisses paritaires, les garanties données pour les capitaux privés ??

    En fait la défiance grandit de plus en plus face à l’organisation de l’Europe car tout le monde a retenu l’absence de réactivité concrète de l’Europe quand l’Italie était dans les plus grandes difficultés (même si la BCE a racheté toutes les dettes publiques pendant leur confinement).

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