Après l’échec de la mesure antimaçonnique projetée par le bureau du Grand Conseil valaisan (lire les textes précédents), il semble judicieux de savoir de quoi l’on parle en évoquant le « secret maçonnique ». Nous avons examiné les deux premiers secrets, celui des rites et celui des délibérations. Voici le dernier.
Le troisième secret dit « objectif » qui est observé en Loge est relatif à l’appartenance de ses membres à la Franc-Maçonnerie. Sa première raison d’être – guère d’actualité, du moins pour le moment – tient à la sécurité. Il faut rappeler que dans les pays catholiques, les francs-maçons étaient considérés comme des parias, passibles de l’excommunication. Jusqu’à la mort de Franco, l’Espagne fasciste a persécuté les francs-maçons, ce qui n’est pas si lointain que cela. Tous les dictateurs les ont pourchassés : Hitler les a conduits dans les camps de la mort, Mussolini les a traqués, Pétain les a exclus de la vie civile, Staline leur a réservé ses goulags. Aujourd’hui encore, le Hamas stigmatise dans sa charte le « complot judéo-maçonnique », le fantasme préféré des fascistes et des nazis des années 1930.
En Suisse, un groupuscule d’extrême droite dirigé par le colonel Fonjallaz avait lancé en 1937 une initiative populaire visant à interdire la Maçonnerie et toutes les sociétés dites « secrètes ». Le peuple étant conscient que c’étaient ses libertés à lui que l’extrême-droite cherchait à atteindre en visant la Franc-Maçonnerie, cette initiative fut balayée par le corps électoral. Cela dit, elle avait tout de même recueilli une majorité de suffrages dans le canton catholique de Fribourg. C’est dire si la vie professionnelle et sociale des francs-maçons vivant dans ces contrées pouvait devenir inconfortable.
Actuellement, personne en Suisse et dans les autres pays du continent ne risque sa vie et sa liberté en se déclarant Franc-Maçon. Faut-il pour autant se dévoiler ? Dans son « Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie », Daniel Ligou répond résolument par la négative:
(…) Si ce secret n’existe pas, on risque d’y voir entrer des profanes animés du seul désir de se prévaloir ensuite de cette qualité par simple vanité. Or, la Maçonnerie est le lieu privilégié de la remise en question non seulement de soi-même mais des valeurs régnant dans la Société. L’absence de secret risque d’en faire une sorte de Rotary auquel il est de bon ton d’appartenir, déviation dangereuse qui ne semble pas avoir épargné les Maçonneries des pays où l’on est volontiers connu comme Maçon. Une Maçonnerie qui se confondrait avec l’ « Establishment » aurait perdu une bonne part de sa vertu initiatique.
L’argument de Daniel Ligou touche juste : la Franc-Maçonnerie n’est pas une association parmi d’autres. Elle est un ordre initiatique, dépositaire des plus anciennes traditions. Le secret d’appartenance – avec les deux autres secrets dits « objectifs » – serait selon cet auteur l’un des éléments parmi d’autres pour préserver le caractère singulier de cette confrérie.
La volonté de ne pas divulguer son appartenance à la franc-maçonnerie peut avoir plusieurs causes. Le souci de ne pas être ostracisé sur le plan professionnel ou social, si l’on évolue dans un milieu antimaçonnique, peut en être un. Mais il ne faut pas négliger un autre aspect, celui de préserver son jardin…secret. L’initiation maçonnique est vécue de façon très diverse par chaque individu qui l’a choisie. Il s’agit d’un vécu intime, difficilement communicable. Or, cette préservation de l’intimité est d’autant plus précieuse que tout nous conduit dans l’actuelle société à la nier. La transparence est nécessaire mais elle n’est pas sans limite, au risque de devenir totalitaire.
Cela dit, dans une société surmédiatisée, tout finit par se savoir. Dès lors, autant affirmer son adhésion à la Franc-Maçonnerie afin d’éviter les rumeurs ainsi que la fabrication de mystères qui n’en sont pas et peuvent donner de la Franc-Maçonnerie une image faussée. C’est le choix que j’ai fait. Mais encore une fois, cette décision ne doit pas être imposée, sous peine d’enclencher un mécanisme périlleux pour la liberté individuelle.
Jean-Noël Cuénod