A propos de Gaza, du 7-octobre-2023 et d’autres conflits ou, à flots, coule le sang, le mot «génocide» est tellement utilisé qu’il perd de sa substance, se banalise, se dégrade en insulte avec son dérivé «génocidaire». Un comble pour ce Crime des crimes. Avant de dire n’importe quoi, autant savoir de quoi l’on parle lorsque ce terme si malaisé à manier déboule dans l’actualité. Sans crier gare.
La création du mot « génocide » et sa formulation sont sorties en 1944 de la plume du juriste étatsunien d’origine juive polonaise, Rafal Lemkin. Ce terme n’a pas été repris par les rédacteurs des Statuts du procès de Nüremberg qui, pour juger les dirigeants nazis, avaient retenu les notions déjà connues de crime de guerre et de crime contre la paix, en lui ajoutant une nouvelle norme: le crime contre l’humanité.
L’aval des Nations-Unies
Rafal Lemkin a défendu son terme de « génocide » qu’il estime plus précis que celui de crime contre l’humanité. Etymologiquement, « génocide » signifie « tuer un groupe humain ».
Le point de vue de Lermkin a triomphé en décembre 1946, lorsque l’Assemblée générale des Nations-Unis a adopté la résolution 96 utilisant le mot « génocide » pour qualifier les actes niant le droit à l’existence de groupes humains. Le 9 décembre 1948, cette même Assemblée générale adopte la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Génocide ou ethnocide?
Un autre terme circule, celui d’ « ethnocide ». Un synonyme? Non, même s’il qualifie une autre forme d’asservissement d’un groupe humain à un autre. Commet un ethnocide, celui qui cherche à détruire l’identité culturelle d’un autre groupe ethnique que le sien mais sans pour autant le détruire physiquement. Il s’agit d’abolir dans l’autre tout ce qu’il a de différent de moi. L’assimilation forcée est une forme d’ethnocide.
La colonisation en a perpétré de nombreux, de même, aujourd’hui la Chine avec les Tibétains et les Ouïghours, entre autres.
Revenons au crime de génocide proprement (si l’on ose dire…) dit.
Sa définition juridique reconnue internationalement est prévue à l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le voici:
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
« La compétence universelle »
Cent cinquante-trois Etats ont signé cette Convention et se sont donc engagés à en introduire les principes dans leurs lois. On imagine aisément que la façon de les insérer varient selon les pays!
En France, Suisse, Belgique, Europe en général ainsi qu’aux Etats-Unis, le crime de génocide est inscrit dans les Codes pénaux en reprenant largement la définition de cet article II de la Convention qui reste la référence de base.
Qui l’applique ou l’a appliquée? Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda, pour l’ex-Yougoslavie et la Cour pénale internationale, ainsi que les justices nationales des Etats qui ont reconnu leur compétence universelle pour examiner ce type de crimes.
En d’autres termes, ces Etats peuvent juger des actes de génocide même s’ils n’ont pas été commis sur leur territoire et même si les prévenus ne sont pas de leurs ressortissants.
La Suisse, la Belgique, le Canada, l’Espagne, la France, l’Allemagne, notamment, appliquent « la compétence universelle ».
En revanche, ce n’est pas le cas des Etats-Unis qui possèdent une loi fédérale réprimant le génocide mais dont le champ d’application est limité aux citoyens étatsuniens ou aux actes perpétrés sur le territoire national.
Le viol et les souffrances mentales
Aux définitions de base, se sont ajoutées les précisions élaborées par la jurisprudence née des différentes décisions finales.
– L’arrêt Akayesu (Tribunal pénal international pour le Rwanda) a étendu le crime de génocide aux violences sexuelles ainsi qu’aux souffrances mentales.
– L’arrêt Krstic (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) a reconnu comme faisant partie du crime de génocide la destruction partielle d’un groupe. Dans le cas d’espèce, il s’agissait du massacre de Srebrenica au cours duquel plus de 8372 hommes bosniaques en âge de combattre ont été tués. Le Tribunal a estimé que ces victimes constituaient une partie « substantielle et essentielle » pour assurer la survie des Bosniaques en tant que peuple.
– le transfert d’enfants est assimilé à un crime de génocide, même s’il n’y a pas de morts. C’est d’ailleurs ce qui vaut à Poutine d’être la cible d’un mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale.
– Le génocide peut être commis en temps de paix ou de guerre.
– L’intention de destruction se rapporte à un groupe en tant que tel et non pas uniquement aux personnes qui en font partie.
Une preuve malaisée à établir
Cela dit, apporter la preuve qu’un génocide a été commis est tout sauf aisé, comme l’auteur de ces lignes a pu le constater en tant que chroniqueur judiciaire. L’ancien bourgmestre (maire) de Mushubati, réfugié politique en Suisse, avait été traduit devant la justice militaire helvétique, compétente pour juger de ce genre de dossier au nom de « la compétence universelle ».
Finalement, l’ancien bourgmestre fut condamné à 14 ans de réclusion, mais pour crimes de guerre et non pour génocide. Les juges militaires avaient estimé que l’intention génocidaire du prévenu n’avait pas été suffisamment prouvée.
Lorsque l’actualité évoquera un massacre de masse, pour le qualifier ou non de génocide, vous disposez désormais des instruments nécessaires à la formation de votre propre opinion, sans suivre celle fabriquée par les algorithmes.
Jean-Noël Cuénod
comme dab, un excellent texte. Merci JLC