
Le monde vu par Vance-Trump d’après le tableau de Jan Matejko (1848) « La Bataille de Grundewald » ©Wikipédia et Musée national de Varsovie.
Elèvera-t-on un jour, sur les places européennes, une statue au couple Trump-Vance? Si notre continent parvient à surmonter son actuel état de faiblesse, sans doute faudra-t-il remercier ces deux chef mafieux de nous avoir rappelé que toute vassalité se paie un jour ou l’autre, au prix fort. En fin de compte, les Etats-Unis risquent de regretter d’avoir perdu leur statut de puissance protectrice.
Depuis 1945, l’Europe ruinée par le nazisme a vécu sous la protection militaire des Etats-Unis face aux appétits de l’Empire soviétique. Mais il en va des pouvoirs politico-économiques comme de la mafia: pour être protégé, il faut payer le pizzo.
La plupart des pays européens qui avaient échappé au joug stalinien ont tout d’abord payé un pizzo d’apparence sympathique: adhésion au consumérisme étatsunien, ouverture aux importations venant d’outre-Atlantique, à la culture de masse illustrée par Hollywood avec son doux impérialisme esthétique et surtout son cinéma (pour bénéficier du plan Marshall, les pays européens bénéficiaires devaient projeter dans leurs salles au moins 30% de films produits par les usines à rêve hollywoodiennes).
La politique du « glam »
Face au goulag et aux procès de Prague, Washington était à l’évidence plus « glam » que Moscou.
Les pays d’Europe de l’Ouest n’ayant pas à consentir des sommes importantes pour financer leur défense, les capitaux ainsi libérés ont été investis dans l’industrie et les services.
Cette situation prévalait notamment en Allemagne, en Italie mais pas en France qui a dû engager des dépenses militaires imposantes dans les années 1950, avec un pic à 7,57% du produit intérieur brut (PIB) en 1953 et 6,46% en 1956. En cause, les guerres coloniales perdues d’avance en Indochine et en Algérie.
A noter que les Etats-Unis n’ont guère soutenu la France durant la guerre d’Algérie (contrairement la guerre d’Indochine qui, pour les Etatsuniens, était une phase « chaude » de la Guerre Froide). Cette situation particulière – associée sans doute aux réticences de Roosevelt vis-à-vis de la France Libre durant le Second Conflit mondial – explique peut-être que de tous les dirigeants européens, le président de Gaulle fut le seul à se montrer lucide vis-à-vis de Washington.
La vision gaullienne
D’où sa décision de développer sa propre stratégie nucléaire indépendante des Etats-Unis contrairement à l’autre puissance nucléaire européenne, la Grande-Bretagne très liée à Washington.
Malheureusement, de Gaulle dirigeait un pays qui n’était plus à la hauteur de sa vision. Détenir de façon indépendante la bombe atomique sans avoir pour substrat une industrie puissante ne suffit pas à faire pièce aux Empires étatsuniens ou autre.
Aujourd’hui, les capi mafia Trump-Vance ont décidé que leur protection militaire de l’Europe entraînait plus d’inconvénient que l’encaissement de leur pizzo. Pourquoi? Les raisons sont nombreuses et parfois contradictoires comme toujours. Sans doute, la richesse du sous-sol russe constitue-t-elle un attrait particulier pour les prédateurs qui sont à la tête des Etats-Unis, alors que les Européens sont perçus avant tout comme des concurrents.
L’alliance Vance-Poutine contre l’Etat de droit
Autre raison déjà évoquée dans ce blogue, les bouffonneries de Trump masquent un projet politique parfaitement structuré qu’illustre le très actif vice-président J. D. Vance, à savoir la liquidation systématique de tous les contre-pouvoirs afin que la classe technoprédatrice, incarnée par Elon Musk, puisse mener en direct l’exploitation des clients-salariés sans les filtres sociaux et étatiques. Corollaire: l’appareil répressif est renforcé afin de préserver les technoprédateurs des réactions de leurs victimes.
En bref: un régime dictatorial alimenté idéologiquement par la manipulation des réseaux sociaux dans le sens de la haine, de la discrimination raciale, de l’atomisation du peuple pour mieux l’asservir. C’est une forme du fascisme adapté à la technosphère.
L’Europe plus seule que jamais
Or, la plupart des pays européens – exceptés les pions moscovites hongrois et slovaques – sont devenus les garants de l’ordre démocratique basé sur l’Etat droit. L’Europe est donc devenue pour les capi mafia Trump-Vance l’ennemi à abattre en sacrifiant l’Ukraine au profit de Poutine, autre ennemi juré de l’Etat de droit.
Voilà l’Europe démocratique seule. Plus seule que jamais après la trahison de Trump qui vient de priver d’aides l’Ukraine. Si elle tombe dans les griffes de l’ours, d’autres suivront: outre la Moldavie très mal en point, la Roumanie et les Pays Baltes risquent fort de ne plus être protégés par leur appartenance à l’OTAN puisque les Etats-Unis n’interviendront pas pour les défendre.
La salvateur crachat de Vance
Paradoxalement, en crachant sur nous à Munich, Vance nous a rendu notre fierté d’Européens en nous faisant brutalement prendre conscience du caractère caduc des liens de vassalité avec Washington.
Nous ne voulions pas être libres et nous voilà forcés à le devenir grâce à Vance, un vice-président qui va devenir bien encombrant pour Trump!
Cette liberté nouvelle, nous allons la payer cher. Notre existence n’a jamais été aussi mise en péril depuis la Seconde Guerre mondiale. Avec une force militaire européenne à l’état d’embryon, une guerre économique que nous livre Trump avec la hausse des frais de douane, un empire russe à nos portes, nous paraissons très mal partis.
Cela dit, rappelons-nous la Grande Bretagne de Churchill en 1940. Malgré ses faiblesses militaires, elle a pu résister à la puissance de feu nazie en attendant que le sort ne se retourne en sa faveur.
Ne pas surestimer nos nouveaux ennemis
Dans leur propagande, les partis poutino-trumpistes qui sévissent en notre sein surestiment la puissance russe.
Cela dit, l’armée de Poutine, bien plus forte en nombre, n’a pu grappiller que quelques kilomètres à l’Ukraine après trois ans de guerre intense. Et le PIB de la Russie n’a rien d’impressionnant; Moscou arrive en 7ème position alors que l’Union européenne occupe la 2ème place, juste derrière la Chine et… devant les Etats-Unis!
Chez lui, Donald Trump obtient le plus mauvais score de popularité pour un président étatsunien après seulement un mois de pouvoir, comme l’illustre ce sondage publié par le Washington Post. Des élus républicains sont parfois chahutés lorsqu’ils reviennent dans leur circonscription (lire Le Temps).
Sera-ce au tour des Etats-Unis d’être seuls?
L’Europe n’est pas un paillasson sur lequel, Vance peut essuyer ses pieds fourchus. Elle est l’héritière de l’une des plus belles civilisations humaines. Certes, avec ses Hitler, Mussolini, Franco, Torquemada mais aussi avec ses Mozart, Rubens, Shakespeare, Hugo. Sans oublier Montesquieu, l’un des premiers concepteurs de l’Etat de droit.
Lorsque l’Europe aura retrouvé ses forces avec sa liberté, les Etats-Unis risquent à leur tour de se trouver seuls, avec un allié russe peu fiable, face à la puissance chinoise.
Jean-Noël Cuénod
VIDÉO
Discours lucide et roboratif prononcé mardi 4 mars 2025 par le sénateur Les Indépendants Claude Malhuret
Belles analyses, que dire de plus, chapeau !
Bonjour,
Je ne vais pas m’étendre trop longuement sur la déclaration de ce Malhuret, sénateur qui rejoint les va-t-en guerre de tout poil, mais dirai d’abord mon étonnement d’entendre des propos aussi incohérents: on ne peut d’un côté dire que la Russie n’a pas été capable en trois ans de guerre de soumettre l’Ukraine, ce qui est vrai bien que cet État soit trois moins peuplé, et que son économie serait quasi exsangue, ce qui est peut-être vrai, et de l’autre côté, lui prêter des intentions de conquêtes qu’elle n’aurait manifestement pas les moyens d’engager. Incohérence qui permet de « justifier » un effort de guerre absurde au moment même où nous ne sommes même plus capables de financer nos hôpitaux qui sont à l’os, notre système éducatif dont les performances au niveau mondial sont désastreuses, les retraites, la recherche fondamentale ou encore la lutte contre le réchauffement climatique qui représente le véritable enjeu de ce siècle. Mais il y a bien d’autres incohérences dans le discours médiatique et politique dominant: d’abord la quasi disparition du mot « diplomatie » alors que devant une guerre que personne ne peut gagner ni perdre, c’est bien autour d’une table que doit se régler le problème, l’effacement de l’Organisation des Nations-Unies étant à cet égard symptomatique; et puis l’invisibilité de la tragédie que subissent encore et encore les Palestiniens – pourtant sans commune mesure avec ce que subissent les Ukrainiens compte tenu de l’abandon de la Palestine entre les mains d’un État terroriste armé à volonté tant par les États-Unis que par l’Europe – , l’affirmation que les institutions européennes sont un exemple de démocratie alors que le déficit en ce domaine est précisément le principal reproche que les populations adressent à la technostructure de Bruxelles, ceci contribuant à faire le lit des mouvements d’extrême-droite, etc. Le grand Jean Jaurès doit se retourner dans sa tombe devant la folie guerrière qui s’empare des dirigeants européens!
Bertrand Thébault
http://editions-amalthee.com/blog/bertrand-thebault