Prononcé à Munich le jour de la Saint-Valentin, le vice-président des Etats-Unis Vance n’a pas susurré ses mots doux aux oreilles européennes. Mis à part sa grotesque attaque contre les prétendues atteintes à la liberté d’expression en Europe, ce personnage à l’allure renfrognée a dit tout le mépris qu’il voue à notre continent. Les americanolâtres de l’Europe savent maintenant à quoi s’en tenir.
Tout de même, il est gonflé le vice-président… Accuser les pays européens de piétiner la liberté d’expression (son discours intégral) alors que, selon le Washington Post, les nouveaux occupants de la Maison Blanche censurent à tout va les milieux scientifiques dont les travaux sortent de la ligne intégriste des ultraconservateurs! Vance nous refait la parabole de la paille et de la poutre.
Lorsque Vance traitait Trump d’ « Hitler »
Vance ne cherche pas à promouvoir la liberté d’expression en général, il veut favoriser les propos qui excitent à la violence et diffusent le racisme, la haine du féminisme et les idées fascistoïdes qui constituent son fonds de commerce électoral.
En revanche, il ne supporte pas que les scientifiques s’expriment sur le changement climatique ou les politiques du genre.
Le cynisme de James David Vance est légendaire. Il a longtemps combattu Trump au sein du Parti républicain avant de le rejoindre. Ainsi, en 2016 a-t-il écrit sur un post de Facebook à l’un de ses associés:
Je n’arrête pas de me demander si Trump est un trou du cul cynique comme Nixon qui ne serait pas si mauvais (et pourrait même s’avérer utile) ou s’il est le Hitler de l’Amérique ». Sans doute, est-ce la première partie de l’alternative qui l’a convaincu de changer de camp…Quoique…
Le site de TF1 qui rapporte la chose ajoute que le nouveau vice-président n’a jamais démenti cette déclaration tout en ajoutant qu’elle ne représentait plus son point de vue! Apparemment, Washington vaut bien une messe noire. Et le puissant fumet des gamelles est irrésistible aux narines de ce catholique bien pensant, mal disant et peu regardant.
Libre cours à la prédation
J. D. Vance n’a fait qu’illustrer par son discours munichois la pratique politique de Trump et l’idéologie hypercapitaliste – dont Donald L’Excité est l’éructant héraut – qui la sous-tend. Il s’agit désormais d’abattre toutes les mesures de sauvegarde sociale, culturelle et humaniste afin de laisser libre cours à la prédation des acteurs du capitalisme débridé.
Ceux-ci ont d’ailleurs bien compris le message. Naguère encore, la grande bourgeoisie étatsunienne et européenne ne cachait pas son mépris vis-à-vis de ce promoteur immobilier mal dégrossi qui mettait la main aux fesses des marquises.
Aujourd’hui, tout ce beau monde se presse auprès Donald 1er pour lui baiser la babouche, en glanant, par ci par là, quelques petits fours mine de rien.
C’est fou ce que les déclarations d’amour à la démocratie fondent vite au soleil de la face orange du président!
Jouer Moscou pour affaiblir Bruxelles
Dans l’optique de Trump, offrir à Poutine la victoire – qui était tout sauf acquise – sur l’Ukraine se révèle d’une implacable logique. Il cherche systématiquement à déstabiliser les systèmes démocratiques aux Etats-Unis (lire aussi notre blogue précédent) et ailleurs afin de rendre inopérants les contre-pouvoirs qui en constituent la substantifique moelle.
Dès lors, favoriser un dictateur qui a éradiqué tout Etat de droit dans son pays convient parfaitement à Donald Le Sinoque-Cynique. D’autant plus, que la victoire du tyran moscovite affaiblit encore plus l’Europe, qui est en passe de devenir le dernier bastion de la démocratie et de l’Etat de droit.
Certes, il méprise ce continent ramolli. Mais enfin, économiquement l’Europe pèse encore lourd et fait concurrence à l’économie étatsunienne. Autant enlever ce caillou de sa botte. Si la Russie peut l’y aider, Face d’Orange ne va pas se gêner.
La pratique du président étatsunien et le discours de son vice-président devraient faire tomber les épaisses écailles qui recouvrent les yeux des dirigeants de l’Union Européenne.
Washington est désormais un allié qui nous veut du mal. Nous représentons cette ouverture d’esprit et cette tolérance que les trumpistes détestent, tout comme la Poutinerie.
Une hostilité qui ne date pas d’aujourd’hui
Hélas, rien n’indique de façon convaincante que l’Union Européenne a changé son logiciel. Pourtant, cela fait des années que les Etats-Unis envoient des signaux plus ou moins hostiles à l’Europe, au moins depuis Bush junior en passant par Obama, Trump première version et Biden.
Aujourd’hui, toutes les ambiguïtés sont levées. Le parapluie étatsunien s’est refermé. Washington ne bougera pas le petit doigt pour défendre l’Europe des ambitions impérialistes de Poutine. L’OTAN, que l’on avait cru renaître de ses cendres sous la présidence Biden, a replongé dans son coma.
Mais la position d’avant était tellement confortable pour les pays européens – j’économise sur les dépenses militaires pour mieux exporter mes biens et services – qu’il est fort malaisé de revenir sur terre.
L’architecture baroque de l’UE
La question de la défense européenne se repose une fois de plus. Elle taraude la continent depuis le début des années 1950 sans qu’elle ne soit résolue.
Chacun constate en Europe la nécessité de disposer d’une force armée commune. Pourtant, peu de choses bougent en ce sens. A cause de l’incompétence des dirigeants?
Cette persistance dans l’impuissance incline à préférer une autre explication, à savoir l’architecture baroque de l’Union Européenne. Ni fédération non confédération, elle ne ressemble à rien de connu avec ses 27 Etats qui ont abandonné une part de leur souveraineté dans plusieurs domaines mais pas en matière de diplomatie et d’armée.
Or, ces Etats souverains, mais pas trop, défendent des intérêts parfois contradictoires en fonction de leurs besoins économiques mais aussi de leur histoire. Un Polonais aura forcément une vision différente de la Russie que celle d’un Portugais. Dès lors, créer une force armée à 27 relève de l’illusion.
Il faut donc trouver une autre architecture pour mettre en commun les forces armées de l’Europe, notamment par la création d’une entité regroupant les Etats qui se montrent prêts à consentir aux sacrifices nécessaires.
L’Europe, deux puissances nucléaires
Cette nouvelle Communauté européenne de défense (la première a avorté en 1954) devrait être ouverte à d’autres Etats non-membres de l’UE comme la Grande-Bretagne, puissance nucléaire à l’instar de la France. Il vaut mieux avoir dans cet ensemble le Royaume-Uni, fer de lance du soutien à l’Ukraine, que la Hongrie, son premier ministre Orban l’ayant transformée (ou plutôt retransformée) en pion moscovite.
D’ailleurs, un embryon existe déjà au sein de l’UE, à savoir le projet CSP « Mobilité militaire » avec la présence notamment de deux Etats européens non-membres de l’Union européenne, la Grande-Bretagne et la Suisse (actuellement environ 150 000 militaires en comptant les réservistes).
Cette seconde Communauté européenne de défense suppose, non seulement la formation d’un seul Etat-Major, mais aussi la mise en commun des industries de guerre afin d’éviter les achats massifs de matériel de guerre aux Etats-Unis. Plus question de préférer le F-35A au Rafale comme l’avait fait la Suisse en 2021 !
A cette belle idée, un bémol sonore: il faudra du temps pour qu’elle se réalise. Or, nous manquons cruellement de cette denrée.
Encouragé par l’attitude des Etats-Unis trumpifié, l’appétit de l’ogre russe ne fait que croître. Poutine sait désormais que l’Europe ne pourra pas compter sur son ex-protecteur étatsunien.
La mauvaise paix qui se prépare
Les agressions verbales de Face d’Orange contre le président ukrainien Zelensky dessinent les contours de cet ersatz de « paix » que prépare Trump avec la Russie: accuser l’Ukraine d’avoir commencé la guerre équivaut à prétendre que c’est la Pologne qui a envahi l’Allemagne le 1er septembre 1939!
En énonçant cette ânerie, le président étatsunien signifie clairement qu’il a fait sien le récit de la propagande poutinienne. Dès lors, cette prétendue « paix » – conclue sur le dos de l’Ukraine et en l’absence de l’Europe voisine – que Trump bricole de ses mains maladroites risque fort de préparer d’autres affrontements violents. L’histoire a démontré qu’une mauvaise paix favorise une reprise des guerres.
Voilà donc les Européens forcés de se préparer, en solitaire, au pire.
Jean-Noël Cuénod