« Le doute a tué et tue encore parfois » affirme Olivier Véran, ministre de la Santé en visant celles et ceux qui hésitent à se faire vacciner contre le Covid-19 (lire ici). Mais grâce au doute, on peut aussi sauver sa vie et celle des autres, en suspendant une action potentiellement mortifère … Dur désir de douter, pour paraphraser le titre d’un livre de Paul Eluard (Le dur désir de durer).
Douter, cela devrait rester le réflexe de base de tout citoyen ayant la chance de vivre en démocratie. C’est parce qu’elles préfèrent la caresse onctueuse de la propagande à la poigne rugueuse du doute que les dindes s’empressent de voter en faveur de Noël.
Trop vite dit : elles aussi ont douté, ne serait-ce que de la parole de celles et ceux qui les avertissaient que Noël ne leur ferait pas d’autre cadeau que celui d’être boulotées en famille.
Doit-on douter du doute ?
Doit-on douter du doute ? Et pourquoi ce doute du doute échapperait-il au doute ? De doute en doute, nous voilà prêt à ne douter de rien, à avaler n’importe quel mensonge, n’importe quel délire.
Le doute poussé à ses ultimes retranchements entraîne vers les rivages ravagés de la folie, l’esquif que godille la raison entre mille flots contradictoires.
Sans en venir à ces extrémités, citons le doute version calme tel que le Centre national des ressources textuelles et lexicales (CNRTL) le définit, à savoir : L’état naturel de l’esprit qui s’interroge, caractérisé à des degrés différents soit par l’incertitude concernant l’existence ou la réalisation d’un fait, soit par l’hésitation sur la conduite à tenir, soit par la suspension du jugement entre deux propositions contradictoires.
« S’interroge »… « Hésitation sur la conduite à tenir »… « Suspension du jugement »… Le doute prône donc l’immobilité. Il représente l’indispensable parenthèse qui donne au raisonnement le temps nécessaire à son développement.
Mais pour agir, il faut le dépasser et établir son ou ses choix. Dès lors, faire du doute un absolu ne peut qu’aboutir au néant.
Le discernement, l’indispensable compagnon
Pour sortir de ses apories, le doute doit compter sur un compagnon de qualité, le discernement, c’est-à-dire, toujours selon la définition du CNRTL, la faculté qui est donnée à l’esprit ou qu’il a acquise par l’expérience, d’apprécier les choses selon leur nature et à leur juste valeur, d’en juger avec bon sens et clarté.
Si l’on suit cette définition, le discernement est un aspect de l’intelligence c’est-à-dire, d’après l’étymologie de ce mot, le pouvoir que possède l’esprit humain de choisir, de relier les objets entre eux. Mais pour choisir, pour relier des situations entre elles et se former ainsi un jugement, une donnée de base est essentielle : l’information.
On ne saurait s’arrêter là. Pour qu’elle s’exerce avec discernement, l’intelligence doit être nourrie par une information certes, mais de bonne qualité. C’est-à-dire d’une information qui restitue, le plus fidèlement possible, tel ou tel aspect du réel.
Et nous voilà menés au pied de notre mur actuel. Si le doute peut tourner à la déraison, c’est parce qu’il n’existe plus de hiérarchie dans l’information. Tout se vaut dans un monde de veaux dévots.
Car, voyez-vous, l’information est un métier, n’en déplaise à tous les bricolos de l’info qui découvrent la lune à chaque seconde, prennent « les campanules pour les fleurs de la passion » (cf. Aragon « L’Etrangère » tiré du Roman Inachevé) et clament l’infox la plus outrée comme Vérité d’Evangile.
Le malade du siècle
La grande malade de ce siècle balbutiant, c’est elle, l’information. Les anciens médias ont, dans tous les sens de cette expression, « fait leur temps » et sont submergés par les réseaux sociaux où n’importe qui peut dire n’importe quoi, où le mensonge est bien plus « liké » que la bonne foi. « La mauvaise monnaie chasse la bonne », disait-on jadis. La mauvaise info chasse la bonne, tel est le dicton du jour.
Sans doute (si l’on ose dire !), faut-il monter d’un cran. Si l’information défaille, c’est, entre autres raisons, parce que l’enseignement préfère formater des individus plutôt de former des citoyens. La compétence – qui s’exerce sur un petit segment d’activité – est privilégiée par rapport à l’intelligence qui embrasse un large champ de connaissances.
Enseignement et information sont les deux mamelles de l’intelligence. Et c’est en se nourrissant à son lait que le désir de douter devient moins dur. Et plus sûr.
Jean-Noël Cuénod
Permets moi, pour une fois, cher Jean-Noël, de squatter ton blog, avec cet extrait de mon dernier poème, diffusé sur le net (qui ne l’est pas toujours!), que tu connais, mais que j’ai envie de faire partager à tes lecteurs, en compagnonnage avec ton si pertinent article:
Il y a
Celui qui se méfie de son ami
Celui qui se méfie de son ami qui se méfie
Celui qui doute de son doute
Celui qui ne doute pas de son doute
Qui se masque qui se démasque
Il y a de la mort dans l’air
Et dans l’air des lampions
Et dans les yeux la morsure des regards
Que ni parole ni poème ne saurait guérir
On vit aujourd’hui sous le règne du mensonge, de la tromperie;
on ne dit plus 50€ mais 49,90, achat d’une 2eme pièce à 50% de la 1ère,
rabais de 50% à gogo, Biden qui nous raconte que l’évacuation de Kaboul
fut un succès, et j’en passe.
Dans ce contexte le doute est obligatoire.
Helas.
j’avoue que, lorsque je lis ou j’entends des économistes de gauche et des économistes de droite affirmer, avec tous autant de réflexion, de discernement et de savoir, que leur analyse est la seule convenable, je me mets à douter, beaucoup… et avec bonne humeur!