Les gros médias semblent disposer d’une inépuisable réserve de jobardises. En cette matière (grasse), ils se sont tout particulièrement distingués lors de la rencontre, hier, entre Trump et Kim Jong-Un en mettant à leurs sauces écœurantes le mot « symbole ». Or, ce coup du pub’ ne doit rien au symbole et tout à l’emblème. Les confondre, c’est mettre dans le même sac l’intelligence et la propagande.
Trump franchit-il la ligne qui sépare les deux Corée ? Symbole ! Se pose-t-il en premier président des Etats-Unis à entrer, fut-ce de quelques centimètres, en Corée du Nord ? Symbole ! Le porteur de moumoute jaune sert-il la raquette au sanguinaire poussah ? Symbole ! Les deux posent-ils leurs imposants fessiers sur des fauteuils enjambant la frontière ? Symbole ! Symbole, vous dis-je !
Pour l’un comme pour l’autre, il s’agissait de développer leur récit propagandiste à usage interne. Kim avait besoin de cette rencontre pour ancrer auprès de ses sujets l’image d’un Guide tout puissant, capable de dialoguer avec les plus grands et d’amener sur son sol le patron de la première puissance mondiale, ce que ses père et grand-père n’étaient jamais parvenus à réaliser.
Or, ni la stature ni le jeune âge de l’héritier de la dynastie Kim ne le prédisposaient, à première vue, à incarner ce rôle. Le bras-de-fer qu’il mène avec – et non pas contre – Trump a donc connu son zénith, dimanche. Aussitôt, les moyens de propagande de la dictature coréenne du Nord ont balancé ces images d’ « entente cordiale » avec une rapidité foudroyante qu’on ne leur connaissait pas. La dictature Kim sort renforcée de cette séquence car, même s’ils verrouillent leur communication à tous les étages, les tyrans ont besoin de recevoir l’adulation de leurs sujets pour conforter leur mainmise. Il n’est pas plus docile esclave que celui qui voue un culte à son maître.
Le président Trump se fiche d’avoir donné ce coup de pouce au despote de Pyongyang. Il a lui aussi atteint son objectif : créer un bruit médiatique tellement tintamaresque qu’il fait passer au second rang le lancement de la campagne présidentielle des démocrates. Il fallait soigneusement préparer le caractère « impromptu » de la rencontre, afin de créer un effet de surprise propre à enflammer l’audimat. Evidemment, les médias ont foncé tête la première dans le panneau en s’extasiant sur cette « improvisation » mûrement planifiée. Autre avantage pour Trump, il se donne les gants du pacificateur après avoir revêtu l’armure du guerrier : « Vous voyez, ma méthode paye. J’éructe des insanités contre un type et après je l’ai à ma main et on deale entre potes ». Sauf que dans le cas présent, le « pote » est le potentat le plus immonde de la planète et que c’est plutôt Kim qui a roulé Trump dans sa farine.
Trump et Kim, la pauvre langue de l’emblème
Rien dans cette démarche relève de la symbolique. Le symbole contient en lui plusieurs significations liées les unes aux autres par des réseaux de correspondance et de relation analogiques. C’est une sorte de méta-langage. Dans la symbolique, un mot est riche de plusieurs, comme une poupée russe.
Le philosophe français Pierre Riffard donne cette définition de la symbolique :« un langage naturel, qui établit des relations non conventionnelles entre le signifiant et le signifié ». De correspondances en correspondances, le symbole conduit celui qui le travaille à aller toujours plus avant dans sa quête de vérités qui se dérobent. Dérober dans tout les sens du verbe : se mettre à nu et rester insaisissable. C’est Baudelaire qui a le mieux illustré ce processus dans son célèbre poème tiré des « Fleurs du Mal » et intitulé, justement, « Correspondances » :
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
Nous ne sommes pas seulement loin de la pauvreté des récits politicomédiatiques, nous nous en trouvons carrément aux Antipodes. Le numéro de duettistes sur la ligne coréenne relevait donc non pas du symbole mais de l’emblème qui, lui, ne porte qu’une seule signification ; tel drapeau national représente tel pays et non un autre. Le symbole se révèle aussi foisonnant que l’emblème est sec.
Le symbole pose chaque fois de nouvelles questions et n’induit aucune réponse définitive. C’est la marche qui fait son prix et non pas le but. Alors que l’emblème, lui, ne donne qu’une seule réponse et n’en induit pas d’autres ou alors en nombre très limité. Il recèle en lui les germes d’une forme autoritaire de langage.
Le symbole libère. L’emblème enferme. Prière de ne pas confondre. Prière aussi de ne pas prendre une scène politicienne pour un acte politique.
Jean-Noël Cuénod