Robert Badinter, de l’opprobre à l’icône

robert-badinter-peine-de-mort-hommage

© Joël Saget / AFP (photo captée sur le site du ministère de la Justice).

Robert Badinter ne vit plus en ce bas monde. Voilà sa mémoire aujourd’hui couverte d’hommages. Les médias parlent déjà de sa mise au Panthéon dans une manière de «santo subito» laïque. Ce ne serait que justice, vertu que l’ancien garde des sceaux a si bien servie. La France prend sans doute conscience qu’elle vient de perdre la dernière haute figure morale de son monde politique.

Sans retracer le riche parcours de Robert Badinter – après tout Wikipédia en a évoqué l’essentiel – rappelons que celui qui est devenu une icône a d’abord été la victime d’une haine, d’une vindicte, d’un acharnement que peu d’hommes publics ont connus.

Comme avocat tout d’abord. Militant contre la peine de mort, il a dû assister à l’exécution de son client Roger Bontems, le 28 novembre 1972 à 4 heures du matin, alors que celui-ci, contrairement à son complice Claude Buffet, n’avait tué personne.

« 63% des Français ont déjà eu leur petit Noël »

 

Le président Georges Pompidou, avait refusé la grâce au grand étonnement de Robert Badinter. Dans sa couverture du 4 décembre 1974, dessinée par l’éternellement regretté Cabu, Charlie-Hebdo avait rapidement fait le rapprochement entre le refus de la grâce présidentielle et des sondages d’opinion favorables à la peine de mort: « 63% des Français ont déjà eu le petit Noël ».

En janvier 1977 à la Cour d’assises de Troyes, Me Badinter est parvenu à sauver la tête de Patrick Henry, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir tué un petit garçon. Sauvetage inespéré car les jurés ont été soumis à une intense pression publique avec notamment trois ministres, Lecanuet, Poniatowski et Galley, qui réclamaient la peine capitale et une foule qui tournait sa haine contre l’avocat « coupable » d’avoir éviter la guillotine: « A mort, Badinter ».

La « Badinterophobie » se répand

A la suite du procès de Patrick Henry, Me Badinter parvient à sauver du meurtre légal cinq autres condamnés. Ce qui n’a fait qu’attiser la « Badinterophobie » d’une grande partie de l’opinion.

Jeudi soir, dans l’excellente rétrospective de « La 5 », l’épouse de l’avocat, l’écrivaine Elisabeth Badinter, a rappelé les petits cercueils avec une balle à l’intérieur qui étaient envoyés à leur domicile ainsi qu’à son cabinet d’avocats; sans oublier la montagne de lettres anonymes menaçant de mort, non seulement, Robert Badinter, mais aussi toute sa famille, à commencer par ses filles.

Une des lettres annonçait même qu’une de ses enfants recevrait des jets d’acide sur son visage. Le 24 juin 1976, une bombe artisanale explosa devant la porte d’entrée du domicile de la famille Badinter sans faire de victime.

Les fous et les clabaudeurs

N’était-ce que l’expression de malades mentaux? Alors, ils étaient  bien nombreux!  Et ces fous qui donc les avaient-ils chauffés à blanc, sinon les médias qui faisaient des faits divers leurs choux très gras et les politiciens démagogues qui, traditionnellement, agitent le peuple avant de s’en servir, parmi lesquels Jean-Marie Le Pen n’était pas le moindre des clabaudeurs?

Le plaisir de hurler avec les loups

La folie individuelle n’est pas la question en l’occurence. Ce qui agit dans de telles circonstances, c’est l’effet de meute qui transforme une partie du peuple en populace. Il y a un plaisir de hurler avec les loups qui transcende la raison et le simple bon sens; le clabaudeur est saisi d’une sorte d’orgasme de la colère, cause des pires catastrophes historiques.

Jadis, Robert Badinter et les siens en furent les victimes. Aujourd’hui, les réseaux sociaux ont décuplé ce triste hybris présent depuis la nuit des temps.

Mutinerie haineuse de centaines de policiers

Cette haine contre Robert Badinter ne s’est pas éteinte avec sa nomination en 1981 par le président François Mitterrand comme Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Au contraire. Après avoir convaincu Mitterrand de faire abolir la peine capitale, le Garde des Sceaux Badinter a obtenu du parlement la mise définitive au rancart de la guillotine, malgré l’impopularité de cette suppression au sein de la population française, à l’époque.

En juin 1983, la mort de leurs collègues servant de prétexte, des centaines de policiers ont hurlé « Badinter assassin » sous les fenêtres du ministère de la Justice et débité des slogans fascistoïdes tout en faisant fête à Jean-Marie Le Pen venu les encourager. Eh oui, l’infiltration de l’idéologie d’extrême-droite au sein de la police française n’est pas née d’hier!

Le passage de l’opprobre à l’icône

Cette « badintérophobie » s’est éteinte petit à petit, sans doute par l’effet du bon travail que Robert Badinter a réalisé au ministère de la Justice.

Outre la suppression la peine de mort, son bilan reste impressionnant: abolition des juridictions d’exception, dépénalisation de l’homosexualité, ouverture de droits en faveur des victimes de crimes et délits, indemnisation des victimes d’attentats et d’accidents de la route, suppression des QHS, les sinistres « quartiers de haute sécurité », réformes de la détention, entre autres.

Sa carrière juridique et politique démontre toute la différence entre un homme politique et un homme d’Etat. Le premier change de cap en raison de la météo; le second garde le cap malgré la météo. Cette leçon vaut bien un Panthéon.

Jean-Noël Cuénod

3 réflexions sur « Robert Badinter, de l’opprobre à l’icône »

  1. Entièrement d’accord avec toi ! J’observe le commentaire de Fille lMarine Lepen sur X : on peut ne pas partager tous les combats de RBadinter mais il a marqué…. Cette est une porte ouverte aux pires réserves que l on ose imaginer!

  2. Merci.
    Comme vous dites La France prend sans doute conscience qu’elle vient de perdre la dernière haute figure morale de son monde politique.

    Je le mets un peu dans la mème région que Dick Marti qui nous a aussi recemment quitté

  3. Cher ami,

    Tu oublies la faute inexcusable qu’est le discours du Vel d’Hiv en 1992 ; il faudra attendre J. Chirac pour que la continuité et la responsabilité de l’Etat soit reconnue, que soient créées la mission Matteoli et à sa suite la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *