Quand la justice déménage…

justice-retour-au-palaisLa justice a une odeur. Remugles de vieux papiers et d’anciennes sueurs de corps fatigués, parfums de cire sur les huisseries, senteurs ecclésiales des pierres taillées. La justice a aussi un toucher. Moire des robes magistrales, tissus rêches des toges d’avocat, bois poisseux des tribunes de la presse, crasse des cellules. Il en faut du talent pour évoquer ces deux sens interdits au cinéma.Ce talent, la cinéaste Yamina Zoutat l’a illustré à la faveur de son dernier film documentaire « Retour au Palais ». De nationalité suisse et travaillant à Paris, elle a longtemps œuvré à TF1 en tant que chroniqueuse judiciaire.

Avant que la plus grande partie du Palais de Justice de Paris déménage aux Batignolles, Yamina Zoutat est revenue sur ces lieux que hantent les traces de mémoires laissées par Marie-Antoinette, Landru, Zola, Pétain, Petiot. Dès que vous pénétrez dans cet antre de toutes les angoisses et de toutes les vanités, vous en ressentez la présence comme si les murs avaient absorbé l’encre de leurs ombres comme un papier buvard immense et usé.

Plutôt que d’invoquer ces fantômes célèbres, la cinéaste a pris le parti de donner chair aux oubliés des paparazzi. Par exemple, les bonnes soeurs qui donnent un peu d’humanité aux sordides cellules du dépôt côté femmes, ces immondes « souricières » dans lesquels les prévenus, faits comme des rats, attendent le verdict dans une angoisse à la mesure de leur inconfort. Ou alors, les éducateurs de la justice pour mineurs qui doivent réaliser des miracles à mains nues tant leurs moyens semblent dérisoires ; les techniciens chargés de veiller au bon fonctionnement des intestins de cette vieille géante. Et enfin, ces magistrats qui se posent des questions sous la chaleur de leur hermine.

Comme elle l’avait accompli dans son premier film documentaire sur les mères et femmes de détenus, « Les Lessiveuses », Yamina Zoutat opère par petites touches, en partant du détail d’apparence dérisoire et en suivant ce rythme lent qui, à aucun moment ennuie mais au contraire, fait oublier le temps par son pouvoir hypnotique, un peu comme dans un film de Kurosawa. La tortue est plus rapide que le lièvre, c’est bien connu.

La lenteur. Restons-y. Elle est le propre de la justice. Cette lenteur dont chacun se plaint dans les Etranges Lucarneset autres Boites à Babil[1]est consubstantiel à l’art de juger. On peut déclencher une guerre avec une rafale de tweets. Mais on ne juge pas une femme, un homme en appuyant sur la touche « envoi ». La lenteur est une vertu. Ce n’est pas la moindre leçon de ce « Retour au Palais ».

Jean-Noël Cuénod

PRATIQUO-PRATIQUE

« Retour au Palais » sera projeté à Paris, Lyon, Marseille et le film sort en Suisse fin octobre. Avant-première le 26 octobre à Genève, au cinémaLe Spoutnik,avec l’ancien procureur général et juge fédéral Bernard Bertossa en compagnie de Me Nicolas Gurtner qui préside le Jeune Barreau genevois. A la fin de ce mois, ce film sera disponible en DVD.

[1]Référence et révérence au grand André Ribaud, alias Roger Fressoz, feu patron du « Canard Enchaîné » et inoubliable chroniqueur de « la Cour » au temps du Général de Gaulle et de Georges Pompidou.

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