« Ceci n’est pas une pipe » titrait René Magritte au bas de son tableau représentant une bouffarde des plus classiques. « Ceci n’est pas un référendum » est-on tenté d’ajouter à la suite de l’annonce émise par Emmanuel Macron qui veut consulter les Français pour intégrer la défense du climat et la préservation de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution.
Si ce n’est pas un référendum que veut lancer le président français, alors de quoi s’agit-il ? D’un plébiscite, procédure qui permet au chef de l’Etat de consulter le corps électoral pour légitimer ou relégitimer son pouvoir. Mais depuis son usage des plus abusifs par les deux Bonaparte, le plébiscite n’a plus bonne presse en France. On a donc banni le mot – pour le remplacer par « référendum » – mais gardé la chose.
Pas un « vrai » référendum
A la décharge d’Emmanuel Macron, il faut admettre que la Ve République ne connaît pas de véritable référendum au sens que lui donnent les pays où il est pratiqué : en Suisse, très largement ; aux USA, au sein de plusieurs Etats ; voire en Italie, en moindre mesure. Dans ce contexte, le référendum, c’est même l’inverse du plébiscite : c’est le peuple qui se saisit d’un objet pour changer une norme au sommet. Et non le sommet qui saisit le peuple pour changer une norme[1].
En lançant son pseudo-référendum, le président Macron veut introduire au sein de l’article 1er de la Constitution française cette norme : La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique.
Voilà qui ne mange pas de pain, même bio, et qui n’engage pas à grand-chose. Certes, après avoir dénoncé le caractère politicien de la manœuvre, nombre d’élus verts estiment que cet ajout constitutionnel permettrait de mieux étayer les nombreux procès qui se préparent pour contraindre l’Etat à sortir de son inertie environnementale.
Une norme double emploi
C’est oublier que « la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique » figure déjà, en termes beaucoup plus précis, dans la Charte de l’Environnement qui est un texte de portée constitutionnelle (la lire ici).
Si Emmanuel Macron voulait vraiment faire œuvre utile en ce domaine, il aurait pu donner à cette Charte fort bien rédigée les moyens nécessaires à son accomplissement.
C’est donc un autre but qu’il vise. Et ce but-là doit tout au plébiscite et pas grand-chose au référendum.
Tout d’abord, en émettant son annonce à la fin de la Convention citoyenne sur le climat, Macron a désamorcé l’effet médiatique qu’aurait provoqué la déception des 150 citoyens tirés au sort composant cette Convention. En effet, ces derniers avaient cru à la promesse du président d’appliquer leurs propositions pour le climat « sans filtre ». Mais Macron, arguant de la situation sanitaire et des normes européennes, leur a expliqué que nombre des mesures proposées devaient, au contraire, passer par des filtres. Ce qui est d’ailleurs normal dans une démocratie parlementaire.
Le « plébérendum » et le dilemme de la droite
Ensuite, grâce ce « plébérendum » le président reprend la main et engage un vaste débat qui occupera l’espace médiatique pendant de longs mois en faisant passer au second rang les autres sujets de discorde. Il lui permet donc de se relégitimer à peu de frais après une avalanche de déboires : gilets jaunes, grèves, mesures sanitaires contestées, impopularité chronique.
Enfin, il provoque une belle pagaille chez ses adversaires, en premier lieu au sein de la droite LR (Les Républicains). Soit ses opposants battent campagne en faveur du « non » pour délégitimer Macron, quitte à être accusés de faire passer leurs intérêts politiciens avant l’urgence climatique, soit ils soutiennent le référendum en prenant le risque d’offrir un triomphe électoral à Emmanuel Macron, ce qui lui installerait une belle rampe de lancement pour l’élection présidentielle de 2022.
Les sénateurs de droite seront rapidement placés devant ce dilemme. En effet, avant d’être présenté au corps électoral, l’article proposé doit d’abord être voté « en des termes identiques » par l’Assemblée nationale et le Sénat. Si le vote de l’Assemblée nationale est acquis à Macron, ce n’est pas du tout le cas au Sénat dominé par la droite LR. A eux seuls, les sénateurs de droite peuvent donc empêcher le président d’en appeler au peuple.
Ce serait d’ailleurs le scénario rêvé pour Emmanuel Macron. Sans même que le président prenne le risque d’une défaite, le Sénat et la droite s’attribueraient le sale rôle en sabotant la cause écologique et en empêchant le peuple de voter. Lourd à porter avant 2022 !
Un piège et une faille
Le piège tendu par le président semble diaboliquement efficace. Il présente toutefois une faille : si l’impopularité d’Emmanuel Macron devient telle qu’elle pousse la majorité des Français à voter « non », il serait très difficile à l’actuel chef de l’Etat de se représenter en 2022. De plus, en rejetant ce projet, la France aurait aussi démontré au monde que le dérèglement climatique et la préservation de la nature sont des sujets moins essentiels pour elle que de dégommer son président. Tant l’image de ce pays que la cause écologique en prendraient un méchant coup.
C’est d’ailleurs ce qui marque la principale différence entre un vrai référendum et un plébiscite. Dans le premier cas, le peuple répond à la question qu’il s’est, le plus souvent, posée à lui-même. Dans le second, il se détermine avant tout sur celui qui pose la question.
Le rôle capital des verts
Dans cette optique, le rôle des verts sera sans doute déterminant. Ils peuvent difficilement passer pour des affidés d’Emmanuel Macron qu’ils n’ont cessé de critiquer…vertement. En prenant alors fait et cause pour le « oui », ils feraient de ce plébiscite macronien un véritable référendum en le ramenant à son objet et non plus à son auteur.
En cas de victoire du « oui », le poids politique des verts serait notablement renforcé. Mais si le « non » l’emporte, ce sera surtout Emmanuel Macron qui portera la charge de la défaite. Les verts auraient beau jeu de rappeler qu’ils ne figurent pas au gouvernement et que c’est la politique de celui-ci qui a été sanctionnée.
Le piège macronien risque de se refermer sur tout le monde, même sur son auteur. Seuls les verts peuvent, dans les principaux cas de figure, en sortir indemnes.
Jean-Noël Cuénod
[1] A côté du référendum facultatif qui permet à 50 000 citoyens de demander qu’une loi votée par le parlement soit soumise à votation populaire, il existe certes en Suisse le référendum automatique qui intervient sans que le peuple se saisisse de la question. Mais, comme son nom l’indique, il est mis en œuvre automatiquement si un projet veut changer la Constitution fédérale, sans que cette saisine du peuple soit le fait d’une décision prise par le sommet.