Manouchian et « L’Affiche Rouge » au Panthéon

manouchian-affiche-rouge-pantheonMissak Manouchian entrera au Panthéon le 24 février 2024, 80 ans jour pour jour après avoir été fusillé au Mont-Valérien par l’armée nazie en compagnie de ses vingt-et-un camarades, comme lui résistants communistes. « L’Affiche Rouge » les avait immortalisés, tardivement. Le Parti communiste avait bien des choses à se reprocher à leur égard.

Né en 1906 en Arménie ottomane, Missak ou Michel Manouchian échappe de justesse au génocide turc contre les Arméniens. Il se réfugie en France dès 1925. Cet ouvrier menuisier, puis tourneur, est aussi poète; il étudie en autodidacte et devient rédacteur en chef de Zangou, journal des communistes arméniens en France.

Pendant l’occupation nazie, Missak Manouchian dirige un groupe des FTP-MOI (Francs-Tireur et Partisans-Main d’Œuvre Immigrée). Composés de travailleurs étrangers communistes, les FTP-MOI constituent l’un des fers de lance de la guérilla urbaine que mène le PCF (Parti communiste français) contre l’occupant.

Arrêtés par la police parisienne

Manouchian et son groupe sont arrêtés le 16 novembre 1943 par les policiers français de la Brigade Spéciale No.2 chargée de mener la chasse aux résistants au sein de la Préfecture de Police de Paris.

Sa femme Mélinée, que « L’Affiche Rouge » rendra célèbre, parvient à s’échapper de justesse et sera cachée par la famille Aznavourian dont l’un des enfants est un certain Charles Aznavour.

Après avoir été torturé, Missak Manouchian est livré à la Geheime Feldpolizeil’équivalent de la Gestapo pour la Wehrmacht – avec 23 membres de son groupe.

Après une parodie de procès, les 23 sont condamnés à mort. 22, dont leur chef Missak Manouchian, seront fusillés au Mont-Valérien près de Paris le 21 février 1944. La seule femme du groupe, Olga Bancic, roumaine juive et communiste, sera guillotinée à Stuttgart le 10 mai de la même année, les nazis estimant sans doute qu’une femme n’avait pas droit à « l’honneur » d’être fusillée comme un combattant.

La propagande qui va à fin contraire

Juste avant d’être passés par les armes, Manouchian et dix autres condamnés sont photographiés. Les officiers de la Gestapo militaire les ont choisis en fonction de leurs patronymes aux consonances de toute évidence étrangères ou juives.

Les Allemands les utiliseront pour créer une affiche de propagande destinée à séparer les « vrais Français » de ces « métèques » présentés comme des criminels. Elle deviendra la célèbre « Affiche Rouge » qui aboutira à l’effet inverse du but recherché par la Geheime Feldpolizei. Elle sera l’un des emblèmes de la Résistance et contribuera à populariser l’héroïsme du Groupe Manouchian durant les derniers mois de l’occupation nazie en France.

Toutefois après la Libération, Missak Manouchian et ses camarades tombent dans l’oubli. Quelques publications évoquent le groupe sans que cela ne perce vraiment le silence. Certes, en 1950, Paul Eluard lui consacre un poème intitulé Légion. Mais le Parti communiste français a d’autres chats dissidents à fouetter.

« Les procès de Moscou à Paris »

Au début des années 1950, il mène une série de purges internes – appelées « les procès de Moscou à Paris » – destinées à discréditer par la calomnie de grandes figures communistes de la résistance intérieure, tels Charles Tillon, André Marty, Auguste Lecoeur et Georges Guingouin, le chef des maquis limousins.

Ces héros faisaient trop d’ombre au patron du PCF, Maurice Thorez, qui avait passé la Seconde Guerre mondiale à l’abri du Kremlin.

Après la mort de Staline, le vent tourne. Par l’action des rescapés de la FTP-MOI, notamment les frères Raymond et Claude Lévy, la mémoire des 23 fusillés au Mont-Valérien commence à être reconnue. Une rue du Groupe-Manouchian est inaugurée le 6 mars 1955 dans le XXe arrondissement de Paris. Claude Lévy invite Louis Aragon à cette occasion mais le poète séjourne alors en URSS. A son retour, il fait amende honorable: « Demandez-moi ce que vous voulez ».

Réponse de Claude Lévy: « Pourquoi pas un poème? ». Ce sera chose écrite sous le titre «Strophes pour se souvenir», l’un des poèmes les plus connus du recueil « Le Roman inachevé » qui paraîtra en 1956.

« Ils étaient vingt et trois »…

« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent » écrit Aragon, englobant ainsi avec ses frères d’armes la seule femme du groupe, Olga Bancic, décapitée en Allemagne. Il donne aussi la parole à Missak Manouchian en s’inspirant de la dernière lettre du condamné à sa femme Mélinée ainsi que d’autres ultimes missives de résistants.

En 1959, Léo Ferré met le poème en musique et change le titre: « L’Affiche Rouge ». C’est sous cet intitulé que la chanson et le poème d’Aragon seront connus désormais.

La chanson interdite sous de Gaulle

Comme rien n’est simple dans l’Histoire de la Résistance, le pouvoir gaulliste a interdit la diffusion de « L’Affiche Rouge » dès la sortie du disque en 1961. Ce qui, d’ailleurs, n’a pas manqué de lui assurer une belle publicité puisque les soixante-huitards auront ce chant superbe en tête lors de leurs manifs. Ce n’est qu’à l’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée en 1981 que ce bâillon radiophonique a été enlevé.

« Onze ans déjà que cela passe vite onze ans » versifie Aragon en 1955. Cela passe d’autant plus vite que le poète communiste n’a pas toujours été prompt à se battre pour la mémoire du Groupe Manouchian.

Le journaliste et écrivain Jean-Paul Liégeois, spécialiste de la chanson française, rappelle cette anecdote dans un article paru en juin 1985 dans l’hebdomadaire socialiste L’Unité:

En 1953, les frères Claude et Raymond Lévy (…) obtiennent le prix Fénéon pour un manuscrit de dix nouvelles consacré à des histoires vraies de la Résistance. (…) Plusieurs éditeurs se proposent [de le] publier. Communistes, les frères Lévy choisissent les Editeurs français réunis. Patron de la maison, Aragon les reçoit et leur dit: « On ne peut pas laisser croire que la Résistance française a été faite comme ça, par autant d’étrangers. Il faut franciser un peu. » Disciplinés, ils ont accepté.

Entre 1953 et 1955, l’ombre de Staline avait commencé à se faire un peu moins épaisse…

Quelle est la responsabilité du PCF dans l’arrestation des 23?

Une accusation plus grave a été portée contre la direction du PCF notamment par un témoignage de Mélinée Manouchian. Il figure dans le film de Serge Mosco Boucault, « Des terroristes à la retraite », sorti en 1985 par la chaîne télévisée Antenne2.

Il s’en est suivi une vive polémique sur l’éventuelle responsabilité du Parti communiste français dans l’arrestation de Missak Manouchian.

L’un des passages de la dernière lettre du condamné à sa femme interpelle:

Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal où qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous à trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendu.

Adam Rayski, responsable de la section juive du PCF de 1941 à 1949, donne cet éclairage lors d’une interview qu’il a accordée au mensuel L’Histoire en décembre 1985:

En mai 1943, devant le bilan des pertes des organisations juives, j’ai demandé le repli, le transfert de notre direction dans la zone Sud. Le Parti a refusé, qualifiant cette attitude de « capitularde ». Le PC voulait continuer à frapper dans la capitale, avec ce qui restait son unique bras séculier : les FTP-MOI. Stratégiquement, la direction, pour affirmer sa suprématie vis-à-vis de Londres et du Conseil national de la Résistance, désirait capitaliser les actions d’éclat de la MOI. La direction nationale juive est partie in extremis pour Lyon, mais les FTP ont continué à lutter sur place avec acharnement. Le Parti a sous-estimé l’impératif de la guérilla urbaine – savoir décrocher – et a tiré un rendement politique maximum des coups d’éclat de la MOI.

A terme, c’était donc bien une grave erreur politique. La part de responsabilité du PC dans les arrestations de résistants – dont les 23 de l’Affiche rouge – est indiscutable. Mais ne parlons pas à propos du Parti de trahison ; ne parlons pas non plus d’abandon et encore moins de sacrifice prémédité.

Le 21 février 2024, Missak Manouchian ne sera pas seul à entrer eu Panthéon. Mélinée son épouse, résistante comme lui, l’accompagnera¹

. Ainsi que tous ceux qui ont donné « leur cœur avant le temps.

Jean-Noël Cuénod

1 Elle décède à Paris en 1989 à l’âge de 76 ans. Contrairement à ce que lui demandait son mari dans sa dernière lettre, elle ne se remariera pas et n’aura pas d’enfant.

« L’AFFICHE ROUGE » CHANTÉE PAR LÉO FERRÉ

4 réflexions sur « Manouchian et « L’Affiche Rouge » au Panthéon »

  1. Mon cher Jean-Noël
    Je suis touché par ton article, et plus que cela: ému. Pour la raison que je fus le « nègre » (disait-on alors) de Mélinée, tout un hiver et un printemps, qui aboutit au livre « L’Affiche rouge » (EFR 1974). Chaque semaine je passais quelques heures à l’enregistrer, à discuter autour d’un thé fleuri et de gâteaux savoureux. Jusqu’au moment où, vers la fin, elle me priait instamment de « couper ma machine » afin de se libérer de paroles qui l’étouffait. Je relate cette belle et intense histoire dans mon livre « Chronique du purin » (L’amourier, 2016). J’y évoque l’étroite surveillance de l’éditrice (dont la PDG n’était autre qu’Aragon, qui venait de me publier). Ils savaient qu’elle savait – et que je savais donc – des choses concernant la fameuse « trahison » qu’évoque brutalement Manouchian dans sa dernière lettre. Pas question de laisser trainer les bandes magnétiques. Ceci pour apporter quelques nuances à ton article concernant la trahison en question, sans guillemets cette fois.
    Nous aurons l’occasion d’en reparler, sans doute.
    Amitié fidèle
    Marc

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