Littérature: quand la poésie fait sa sucrée

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L’auteur, Carles Diaz, écrivain et historien d’art franco-chilien ©DR

Voilà un livre qui tombe à pic. Ensuqués sommes-nous par une actualité qui nous consume à force d’être brûlante. Ensucrés sommes-nous par la transformation de la culture en sucre bien collant qui rend diabétique toute pensée. C’est à ce prix que nous mangeons du sucre (Editions Abordo) tel est le titre de cet essai de l’écrivain et historien d’art Carles Diaz.

Il tombe à pic, disions-nous, car les médiacrates de la Culture s’activent à mettre la poésie – ou du moins ce qu’ils présentent pour telle – partout.

Tout, désormais, est poésie ensucrées: les jeux vidéos, les musiques d’ascenseur, les flonflons de superette, les boum-boum techno, les films genre caramel mou ou dur, les productions à gros spectacles, les séries hypnotiques, la pub qui saupoudre nos moindres faits et gestes, le mobilier urbain en résine synthétique, la sarabande des algorithmes,  bref tout qui vous engangue dans ce gang des postiches et des pastiches.

Le sucre ne se dilue pas, il dilue

Lorsque tout est poésie, celle-ci disparaît aussitôt. Comme ce spectre que nous avons cru entrevoir et qui s’efface dès que nous tendons la main vers lui. Le sucre ne se dilue pas dans la poésie, il l’a dilue. Ne reste en bouche que cette pâte qui n’a qu’un seul goût. Un goût que nous finissons par ne plus ressentir tellement il est devenu quotidien.

Le sucre crée une forme dégénérée d’esthétique qui, précise l’auteur franco-chlien Carles Diaz, « n’aspire aucunement à la pérenne solennité de l’œuvre, car elle désarticule au lieu d’articuler; elle associe le beau non pas à une condition noble, au vrai ou au bien, mais à l’effet rapide, fallacieux, aux critères standards dictés par l’euphorie de la publicité; elle sabote le mystère en le réduisant à l’état de relique figée ».

La littérature du « sans effort »

Et Carles Diaz de citer René Char – l’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant – en dénonçant la littérature du « sans effort », produite grâce au mythe trompeur du « tout le monde peut écrire ». Et nous voilà sous une avalanche de romans qui n’en sont pas et relèvent plutôt du développement personnel,

Toutes les formes d’art, à commencer par les industries à caractère culturel, sont bien enrobées.

Même le création poétique n’est pas épargnée. Et l’écrivain de dénoncer « ces festivités poétiques (qui) récupèrent les clichés et chavirent dans la stratégie de  l’animation gadget ».

La poésie, ou son simulacre, reste bien confinée dans l’anecdote, l’amusant sympathique, la ruse marketing et le cucul-la-praline comme on ne le dit plus aujourd’hui.

Nécessaire amertume

Se débarrasser du sucre reste une entreprise malaisée mais indispensable à qui veut vivre pleinement en tant qu’être singulier et solidaire. Cette démarche passe forcément par l’exigence dont le goût amer reste le plus efficace des antidotes contre la sucrerie ambiante.

Ce que le poète genevois Georges Haldas nommait « l’état de poésie » relève de la transcendance. Mais non pas la transcendance des dogmes religieux ou des morales laïques mais celle qui nous induit à porter le regard plus haut, vers ce qui nous dépasse.

Pour l’auteur, « l’idée que quelque chose soit supérieur à nous est essentielle à l’esprit qui refuse d’être l’esclave du concret, qui s’oppose à l’affadissement et à l’avachissement généralisés, car il s’efforce de vivre, de voir, de voir, ressentir et saisir partout la beauté (…) »

La poésie est un acte de résistance contre tout ce qui englue. Contre le sucre, elle reste le sel de la vie.

Jean-Noël Cuénod

C’est à ce prix que nous mangeons du sucre – Carles Diaz-Editions Abordo-2024.-100 pages.

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