On peut toujours compter sur des Russes pour animer les campagnes électorales en Occident ! Vous avez aimé le piratage des élections américaines par les services moscovites…Vous allez adorer les vidéos compromettantes diffusées par le réfugié russe à Paris Piotr Pavlenski, causes de la chute de Benjamin Griveaux. Le député macronien a retiré sa candidature à la mairie de Paris.Faux artiste mais authentique provocateur, Pavlenski paye habituellement de sa personne : lèvres cousues pour dénoncer la répression contre le groupe Pussy Riot en Russie, voire scrotum cloué sur la Place Rouge pour stigmatiser l’indifférence de ses compatriotes face à la politique de Poutine. La première vidéo de l’Obs ci-dessous résume ses hauts faits.
Cette fois-ci, il a choisi un moyen moins dangereux pour son intégrité corporelle : la diffusion de vidéos illustrant des travaux manuels à contexte sexuel attribuées à Benjamin Griveaux avec une jeune femme qui n’est pas la sienne. Scènes dont ledit Griveaux n’a ni infirmé ni confirmé la réalité lorsqu’il a annoncé l’abandon de sa candidature.
Une affaire de « Kompromat »
Paradoxe qui n’est qu’apparent : Piotr Pavlenski a utilisé la classique méthode du Kompromat appliquée par les services secrets russes qu’il est censé honnir. Exemple, parmi tant d’autres, de Kompromat cuisiné par le FSB : en 1997, ce service a fait circuler la vidéo du ministre de la justice Valentin Kovalev en train de barboter dans un sauna en compagnie de prostituées. Il faut dire que Kovalev avait eu l’étrange idée d’appliquer vraiment la politique anticorruption pour laquelle l’alors président russe Boris Eltsine l’avait nommé. Le scandale qui a suivi ces scènes chaudement aquatiques a provoqué la démission de Valentin Kovalev. La lutte contre la corruption est tombée à son tour dans la grande piscine de l’oubli. Pour ne plus en sortir, sauf lorsqu’il s’agit de goulaguiser des ennemis du Tsar.
Pour qui travaille Piotr Pavlenski ?
Alors, pour qui travaille Piotr Pavlenski ? Pour ses anciens ennemis du Kremlin qui n’ont de cesse de troubler le jeu démocratique en Europe afin d’y installer leur pouvoir de nuisance ? Il ne serait pas le seul « à changer de pôle et d’épaule »[1]. Cela dit, aucune preuve ne vient étayer cette intuition. Il serait plus logique de supposer que Pavlenski ne sert que son égo dans cette corneculerie. Intense plaisir de se voir en défaiseur de rois. Ou plutôt de roitelets en l’occurrence, car Griveaux tient plus de la grive musicienne que de l’aigle royal.
Il appartient à la justice – il semble qu’elle sera saisie – d’éclaircir les véritables motifs de ce pro de la provoc façon salade russe.
Griveaux piégé par lui-même
Reste l’insoutenable légèreté de Benjamin Griveaux, qui, malgré son patronyme à connotation ornithologique, n’est pas un perdreau de l’année. Député, ancien secrétaire d’Etat à l’Economie et aux Finances, ex-porte-parole du gouvernement, il connaît la musique, surtout dans le mode dissonant de ses plus basses octaves.
Quelles que soient les circonstances – qui restent à établir – il s’est fait piéger, moins par Pavlenski que par sa légèreté, ajoutant ainsi sa touche personnelle à l’amateurisme qui semble caractériser l’entourage du président, des turpitudes de Benalla aux couacs à répétition sur la réforme des retraites.
Serge July, le fondateur de Libération (cf. la vidéo ci-dessus) a parfaitement traduit ce qu’il fallait penser du comportement irresponsable de ce politicien qui aspirait à conquérir l’une des capitales emblématiques de la planète.
Alors Griveaux est-il la victime des rézosociaux et de l’information numérique ? Non, il est avant tout victime de lui-même. De plus, les nouveaux modes de communication n’ont pas inventé les boules puantes électorales. Elles existaient déjà dans la Rome antique.
Dès qu’il y a élection, il y a boule puante. Plus ou moins puantes, certes. Mais elles ne sentent jamais la rose et le jasmin. Cela dit, les truchements contemporains en ont intensifié la pestilence. Par la rapidité de leur diffusion. Et par le caractère massif de leur emploi.
Jadis, Mitterrand pouvait cacher l’existence d’une seconde famille, car il y avait un nombre restreint d’initiés de l’information. Il était donc possible de les réduire à merci. Aujourd’hui, chaque utilisateur d’un électrobidule peut se transformer en Saint-Just de la sphère numérique. Mitterrand ne pourrait donc plus aujourd’hui occulter une partie de sa vie.
Cette situation entraîne un changement radical dans les comportements politiques et provoque une certaine « protestantisation » de la vie politique que ne parvient pas à comprendre une nation aussi profondément catholique que la France.
Culture protestante et culture catholique
Les pays protestants, plus rapidement sécularisés que les Etats catholiques, n’ont guère vécu sous le régime de la confession auriculaire. Leurs péchés, les protestants devaient en répondre devant le Christ, seul intercesseur de l’Eternel. Ils ne pouvaient pas se contenter de les murmurer à l’oreille d’un prêtre condamné au silence. Le protestant a beau avoir confiance dans la clémence divine, il ne sait jamais si ses fautes lui seront remises.
Le catholique, lui, est pardonné par l’entremise de son prêtre et s’en tire avec quelques prières surérogatoires. Cela modifie radicalement la position de l’un et de l’autre vis-à-vis de la vérité et de la faute.
Pour le protestant mentir à Dieu est absurde puisqu’Il sait tout. Mais si l’on ment quand même, on commet le pire des blasphèmes en niant l’omniscience divine.
Pour le catholique, le mensonge n’a pas ce caractère dramatique. Si l’on ment en confession, on le fait auprès d’un prêtre qui, même représentant Dieu sur terre, n’en est pas moins homme. Et puis, il est toujours possible de trouver un confesseur plus accommodant.
Même auprès des agnostiques ou des athées, ces modèles de comportement restent actuels, tant ils demeurent ancrés dans les consciences, le plus souvent à notre insu. Si Benjamin Griveaux avait avoué avoir commis une faute, il aurait passé un sale quart d’heure médiatique mais ne se serait pas forcément effondré sur le plan politique. En revanche, en se posant en victime, sans dire un mot sur les faits, il rend la poursuite de sa carrière bien problématique, pour le moins, car il sera toujours suspecté de cacher « quelque chose ».
Solliciter le pouvoir auprès de son peuple est un acte grave, qui a quelque chose de sacré, même dans un Etat laïque. Cela suppose la prise de conscience que l’on ne s’appartient plus, que l’on fait partie de ce corps dont on veut être la tête. Dans un tel contexte, la vie privée n’existe plus. Si l’on tient à la conserver, la solution est toute prête : ne pas se porter candidat.
Jean-Noël Cuénod
[1] Allusion aux vers d’Aragon dans son poème « Est-ce ainsi que les hommes vivent » in « Le Roman inachevé ». Il y est fait allusion à l’immédiat après-guerre des années 1920. Un siècle après, les temps ne sont toujours pas devenus raisonnables. Mais l’ont-ils été, ne serait-ce qu’un seul jour ?
(…)
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle (…)
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent(…)