Que de billevesées, calembredaines et autres couillonnades n’ont-elles pas été prononcées à propos du secret maçonnique au fil des siècles. Il serait vain d’essayer d’en tarir le flot insane. Risquons-nous tout de même à tenter l’aventure, puisque nous avions annoncé cette démarche lors de nos deux précédents textes sur le projet antimaçonnique en Valais. Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer, comme le disait Guillaume le Taciturne.
En se référant au remarquable « Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie » de Robert Ligou, il existe trois types de secret maçonnique, à savoir :
– le secret des rites ;
– le secret des délibérations ;
– le secret d’appartenance ;
Abordons le premier, le secret des rites. Selon « Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française », le mot « secret » vient du substantif latin secretum qui signifie, tout d’abord « lieu écarté » mais qui est aussi associé aux « mystères du culte ». Il décrit également les « pensées et les faits qui ne doivent pas être révélés ». L’adjectif secretus veut dire, à la fois, « séparé », « à part ». « isolé », « caché », « rare ».
Introduit au XIIème siècle dans la langue française, le mot « secret » avait pour définition première, un ensemble de connaissances réservées à quelques uns. Ces connaissances étaient consignées par un « secrétaire ».
On constate que l’origine même de ce vocable est étroitement liée à la Franc-Maçonnerie. En effet, la Loge des Francs-Maçons opératifs – c’est-à-dire les bâtisseurs des cathédrales médiévales dont les usages ont inspiré la Franc-Maçonnerie moderne apparue au début du XVIIIe siècle – se déroulait en un « lieu écarté » du chantier, sous forme, par exemple, de hutte formée de planches et de branchages. Et c’est toujours en un « lieu écarté » que les Francs-Maçons d’aujourd’hui se réunissent.
Pendant leur assemblée, appelée souvent Tenue, les francs-maçons se séparent de l’espace profane pour vivre un temps différent dans une ambiance qui se veut fraternelle. Cette séparation est l’un des rares moments où le temps perd son caractère tyrannique. La femme ou l’homme se voit ainsi libéré(e) de la pesanteur des préoccupations quotidiennes. Son esprit peut aborder les questions fondamentales nées du mystère de la vie. En se séparant du bruit de la société, le silence fait naître en lui ce désir de se connaître dans son identité permanente et lui permet de vivre intensément le moment présent, sans souci du passé ni du futur.
Pour y parvenir, il faut engager une dynamique de groupe. Elle est élaborée par une série de symboles et de rituels dont le premier, celui qui fait d’un « profane[1] » un franc-maçon, a pour objet la cérémonie de réception ou d’initiation. Celle-ci diffère selon les différents rites maçonniques mais une même trame les réunit.
Imaginerait-on une telle assemblée comprenant des spectateurs «profanes »? Comme ces personnes ne comprendraient rien de ce qu’ils croient voir, ce ne serait qu’éclats de rire, plus ou moins étouffés. Les Tenues seraient transformées en pantalonnades et en manqueraient singulièrement, de tenue ! Elles n’auraient plus aucune portée, plus aucune valeur pour celui qui est « reçu » ou « initié ». En montrant – ou en filmant – la réception ou l’initiation, on ne montrerait, en fait, rien du tout. Ce qui fait son sel – à savoir le vécu intérieur ressentit par celle ou celui qui est reçu(e) franc-maçon – n’est pas visible. Le vrai secret maçonnique réside dans cette expérience, dans ce vécu et il est, de ce fait, totalement incommunicable et ne peut donc pas être trahi.
Mais si cette cérémonie était filmée, si elle était dévoilée dans ses moindres détails, le candidat n’aurait plus cet effet de surprise qui ferait de cette cérémonie un moment marquant dans sa vie. C’est ce choc qui trace, en lui, une frontière entre « avant » et « après » ce jour d’initiation ou de réception, qui le pousse à devenir un chercheur, un insatisfait des vérités servies toutes cuites et prêtes à l’emploi.
De même, il existe quantité de livres qui décrivent les rituels maçonniques par le menu, c’est dire le caractère relatif de ce secret et des autres concernant la Maçonnerie ! Toutefois, le dommage qui résulterait de la lecture d’un rituel par un candidat à la Maçonnerie paraît moins important que dans le cas de figure précédent. L’image donne la dangereuse illusion de représenter la vérité objective. On peut la voir sans la décrypter, ce qui n’est pas possible avec un texte. L’écrit évoque mais ne montre pas. Il suscite un effet de distance que l’image tend à supprimer. Le dévoilement d’un rite par l’écrit ne donne au lecteur qu’une sorte de squelette. Or, du squelette à l’individu accompli, il y a une différence notable que chacun peut aisément mesurer. Le lecteur d’un rituel se trouve dans une position semblable à celle de l’acteur qui compulse le texte d’une pièce sans la vivre. C’est seulement lorsqu’il sera en scène que l’acteur éprouvera toutes les dimensions que recèle le texte.
Le secret des rites se révèle déterminant sur un autre plan. Tout secret provoque un effet de « soudure » liant tous ceux qui se trouvent dans la confidence. En ce sens, le secret est fédérateur. Bien entendu – et comme dans toute entreprise humaine – ce caractère peut être dévoyé. Le secret légitime et respecté pour le bien de la communauté concernée risque alors de servir à des fins corruptrices, immorales, voire illégales. Il faut que l’on en soit conscient, car personne ni aucun groupe, fut-il maçonnique, peut se prétendre à l’abri de ces déviations. Le secret des rites maçonnique – destiné à protéger le mystère et donc la force d’évocation de l’initiation – n’est pas l’omertà. Et ceux qui font la confusion se sortent d’eux-mêmes de la franc-maçonnerie.
Prochain texte : le secret des délibérations
Jean-Noël Cuénod
[1] Profane, étymologiquement signifie « celui qui est devant un lieu consacré » (pro-fanum en latin)