La dette grecque, un gros boulet en… 1848 !

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Se plonger dans la lecture des journaux du XIXe siècle permet d’apprendre beaucoup sur l’actualité du XXIe. L’excellent confrère Arnaud Galy ­– rédacteur-en-chef du magazine en ligne ZigZag, de l’Année francophone internationale et d’Agora francophone – m’a permis de consulter sa collection du Moniteur Universel, dont les numéros parus au début de la IIe République française née de la Révolution de février 1848.

Je tombe sur un article daté de samedi 16 septembre 1848 (première photo). Il fait part d’une décision prise la veille par l’Assemblée nationale. Pour un lecteur de 2015, le titre est très évocateur : Avance au gouvernement grec. En voici le libellé (seconde photo) :

Art. 8. Il est ouvert au ministre des Finances un crédit de 527 240 francs 2 cent. et un autre crédit de 522 019 fr. et 83 centimes à l’effet de pourvoir, au défaut du gouvernement grec, au payement du semestre échu le 1er septembre 1847 et de celui échu le 1er mars 1848, des intérêts et de l’amortissement négocié le 13 janvier 1833 par ce gouvernement, jusqu’à concurrence de la portion garantie par le Trésor de France, en exécution de la loi du 14 juin 1833 et de l’ordonnance royale du 9 juillet suivant.

Les payements qui seront faits en vertu de l’autorisation donnée par le présent article auront lieu à titre d’avances à recouvrer sur le gouvernement grec. Il sera rendu annuellement à l’Assemblée nationale un compte spécial de ces avances et des recouvrements opérés en atténuation.

(L’article 8 est mis aux voix et adopté).

Au moment où la Grèce d’aujourd’hui se débat dans les rets de sa dette, il apparaît qu’en 1848 déjà, elle faisait l’objet de négociation et qu’Athènes ne parvenait pas à rembourser ses créanciers, les Etats d’Europe occidentale et la Russie.

En fait, la Grèce était endettée avant même la proclamation de son indépendance en 1830. En effet, durant la guerre d’Indépendance contre la Turquie, qui a duré neuf ans, les Etats européens ont massivement prêté des fonds aux Grecs afin qu’ils se fournissent en armes … auprès de ces mêmes Etats !

C’est ainsi que le journaliste français Edmond About écrit de la Grèce en 1854 :

C’est le seul exemple connu d’un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance. Tous les budgets, depuis le premier jusqu’au dernier, sont en déficit. 

161 ans plus tard, la situation n’a guère évolué.

Il vaut d’ailleurs la peine de lire l’ouvrage d’Edmond About, La Grèce contemporaine (disponible sur Gallica[1]) pour se rendre compte à quel point les problèmes qui se posent à la Grèce et à l’Europe sont anciens. L’équation avait été posée au milieu du XIXe siècle. Mais rien de sérieux n’a été entrepris pour la résoudre. Résultat : plus d’un siècle et demi après, nous voilà en plein bouzin, comme l’on dit en Suisse romande.

Edmond About avait mis la plume dans une plaie qui est encore bien ouverte : les vertigineuses dépenses militaires de la Grèce, dépenses qui, comme dit plus haut, ont plombé ce pays avant même son indépendance :

Si la Grèce n’a point de route, si les forêts ne sont pas exploitées, si les terres ne sont pas cultivées, si les mines ne sont pas fouillées, si les bras manquent, si le commerce extérieur n’a pas fait les progrès qu’il devrait faire, c’est parce que, depuis vingt ans, la Grèce a une armée.Si le budget est régulièrement en déficit, si la Grèce est hors d’Etat de servir les intérêts de la dette, c’est parce qu’elle a une armée.

Et le journaliste français d’en faire reproche au roi grec Othon 1er, d’origine bavaroise :Le roi tient beaucoup à garder son armée. Il y tient par vanité et par ambition.Il faut dire que la défense nationale est un véritable gisement de corruption :

Le ministère de la guerre donne environ 600 000 drachmes, le ministère de la marine de la marine en paye plus de 250 000 à des hommes qui ne sont ni marins ni soldats et qui, souvent, n’ont été ni l’un ni l’autre.

Edmond About souligne que la Grèce n’a nul besoin de son armée, personne ne songeant à l’attaquer puisqu’elle se trouve sous la protection des puissances européennes.

 

v49ag9v9Un siècle et demi plus tard, l’appétit budgétaire de l’armée grecque reste aussi vorace. Au début des années 2000, les dépenses militaires atteignaient entre 4 et 5% du produit intérieur brut de la Grèce, soit le taux le plus élevé de l’Union européenne. Aujourd’hui, il est descendu à moins de 3%, ce qui reste considérable, surtout en regard de la situation économique. Il y a peu, la Grèce était le quatrième plus gros importateur d’armes de la planète. Les deux principales bénéficiaires de cette manne: l’industrie militaire des Etats-Unis et… celle de l’Allemagne qui réclame aujourd’hui l’austérité perpétuelle pour les Grecs.

Et tout ça pourquoi ? Pour se défendre de la Turquie… qui fait partie de la même alliance militaire que la Grèce!

Ce qui était aberrant au XIXe siècle, le reste au XXIe.

 Jean-Noël Cuénod

[1] http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k28630w

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