Au moment où la violence sévit entre Israël et Gaza, des deux côtés, les voix de haine ne cessent de jeter leurs jets de salive incandescente sur ce brasier. Aujourd’hui, Le Plouc cède la place à un homme à la foi élevée, à l’esprit clair et au cœur océanique, François Garaï, rabbin de la Communauté juive libérale de Genève. Faites-en votre miel en ces heures amères.
Nous publions ci-dessous, le texte intégral du sermon prononcé par le rabbin François Garaï, vendredi dernier à la synagogue du Seujet à Genève, lors de la célébration de Chavouot[1]. Le titre, les intertitres et le choix de l’illustration sont le fait du Plouc.
Nous allons célébrer Chavouot qui rappelle l’énoncé par Dieu des 10 commandements au peuple d’Israël. Un de ces commandements dit : Tu ne porteras pas de faux témoignage.
Dans le monde au sein duquel nous vivons, le faux témoignage est chose courante. C’est ce qu’on appelle la désinformation.
Ce sont aussi les doctrines politiques qui s’appuient sur des idéologies et rejettent, a priori, les visions autres que les leurs, comme celles qui invoquent Dieu ou des textes « révélés » ou un narratif pour affirmer un positionnement politique.
Aujourd’hui, nous en sommes là.
Deux peuples, une terre, une cité
Les Palestiniens ont une relation avec la terre d’Israël et avec Jérusalem.
Nous, Juifs, avons une relation avec la terre d’Israël et avec Jérusalem.
Deux peuples, une seule terre, et une seule ville de Jérusalem.
Qui porte un faux témoignage, eux ou nous? En général, c’est toujours l’autre.
En lisant la Torah, nous apprenons que lorsque le peuple d’Israël entra en Canaan, il devait éliminer la population et effacer toute trace de leur existence. L’ont-ils fait?
La lecture du livre des Juges indique que tel ne fut pas le cas et il semble bien que tel ne fut pas le cas ; le peuple d’Israël dû guerroyer pour assurer sa sécurité, un peu comme aujourd’hui.
Conséquence des faux témoignages
Cela n’empêche pas certains des nôtres de se référer à ces textes et d’estimer que les arabes doivent être expulsés de tout le territoire entre la Méditerranée et le Jourdain. Et des députés fraîchement élus à la Knesset le disent.
Et de nombreux Palestiniens vivant hors d’Israël disent n’attendre que l’occasion de jeter les Israéliens juifs à la mer ou de les égorger, comme ce palestinien vivant à Beyrouth, entendu hier soir à la Radio Suisse Romande.
Telle est la conséquence des faux témoignage. Telle est la conséquence de ces narratifs qui refusent l’existence d’autre narratifs que le leur.
Pour des Musulmans, il n’y a jamais de Temple juif à Jérusalem.
Pour des Juifs, les Palestiniens n’ont aucun droit sur Eretz Israël haKedochah/ La terre sainte d’Israël, comme ils disent.
Entre temps, la guerre et les émeutes, les échauffourées entre Israéliens juifs et Israéliens arabes.
Et cela au milieu d’un vide politique.
Vides politiques
Un gouvernement israélien qui, depuis plus de trois ans, ne peut pas prendre de véritable initiative car il ne représente plus une majorité. Malgré quatre scrutins, il est toujours impossible de constituer un nouveau gouvernement avec une majorité parlementaire.
Une autorité palestinienne qui, de son côté, refuse d’organiser une élection sachant qu’elle serait minorisée. Cela, entre autres motifs, a amené le Hamas à se présenter comme le seul défenseur des Palestiniens et à entrer en guerre.
Des narratifs contradictoires et des visions incompatibles les unes avec les autres, une incapacité à aller vers l’autre.
Et des centaines de rockets qui s’abattent à l’aveugle et des ripostes qui endommagent des lieux civils proches des lieux de lancement de missiles ou d’espaces sous-terrain militarisés.
Peut-on invoquer le blocus? Pourtant il apparaît d’une efficacité relative puisque les entrepôts militaires gazaouis semblent bien garnis. D’où les armes viennent-elles et comment sont-elles entrées dans ce territoire?
Fracture inquiétante entre Juifs et Arabes
Et une fracture inquiétante est apparue au sein de la population israélienne entre les Juifs et les Arabes. Comme le disait le politologue Frédéric Ancel, cette dernière fracture est la plus dangereuse ou, pour reprendre la déclaration de Yaïr Lapid, elle est un « choc existentiel ».
Heureusement, il y a de nombreux Israéliens, juifs et arabes, qui se sont mobilisés pour affirmer leur volonté de vivre ensemble.
Essayons donc de ne pas porter de faux témoignage, de ne pas mettre en exergue uniquement les points de désaccord, de ne pas fonder notre discours uniquement sur notre narratif et n’utilisons pas notre Tradition pour justifier des actes de rejet.
Comprendre l’autre
Autant que faire se peut, écoutons l’autre et essayons de comprendre sa position, non pour l’adopter, mais pour essayer d’engager un dialogue vrai avec lui. Dans les Pirké Avot (2:4), Hillel nous invite à ne pas juger l’autre avant de nous mettre à sa place. Essayons de le faire et invitons l’autre à faire de même, en espérant que lui et nous le ferons.
Nous devons espérer l’arrêt des combats et nous devons espérer un dialogue qui ne fera pas abstraction du narratif de l’autre et qui sera une véritable main tendue, à l’image de ces hommes et de ces femmes, israéliens juifs et arabes, affirmant leur solidarité et leur désir de vivre côte é côte.
Pensons à ceux qui, de part et d’autre, sont dans le deuil, à ceux qui sont meurtris dans leur chair comme dans leur âme, et pensons aux nôtres qui vivent là-bas et ne pourront pas vivre un שבת של שלום un Chabbat de paix.
« Aide-nous à regarder »
Une prière qu’une de mes collègues a écrite:
Eternel notre Dieu,
Aide-nous à regarder l’autre pour que nous puissions y déceler ton reflet.
Aide-nous à écouter la voix des autres et que les autres puissent également écouter la nôtre.
Apprends-nous à reconnaître les vérités de l’humanité partagée, de l’espoir partagé et de la paix partagée.
Que telle soit ta volonté et que telle soit la nôtre aussi.
כן יהי רצון, ונאמר אמן. Que telle soit Sa volonté et nous dirons Amen
Rabbi François Garaï
Rabbin de la Communauté juive libérale de Genève
[1] Cette fête juive célèbre le début de la saison des moissons ainsi que le don de la Torah sur le Mont Sinaï. Elle a inspiré au christianisme la Fête de Pentecôte.
Merci pour ce bon miel – puis-je le partager avec quelques mis? Si oui, en citant ma source ou non?
Merci de me compter parmi vos lectrices et lecteurs potentiel-les et meilleures salutations
Lucette Woungly-Massaga