Anouar Rahmani (25 ans) risque d’être poursuivi pour blasphème par la justice algérienne et d’être condamné de 3 à 5 ans d’emprisonnement. Human Rights Watch et PEN International se mobilisent pour le défendre. L’islamisme d’Etat s’installerait-il en Algérie?
Ainsi, en décembre 2006, le Code pénal de ce pays a-t-il été alourdi d’un nouvel l’article, le 144bis 2, ainsi libellé :
Est puni d’un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d’une amende de cinquante mille à cent mille DA (dinars algériens, soit de 421 à 842 euros, ou de 451 à 902 francs), ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque offense le prophète (paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’Islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen.
Si l’amende peut paraître légère vue d’Europe, il faut tout de même la replacer dans le contexte économique de l’Algérie. En revanche, il ne fait aucun doute que le Code pénal algérien a la main particulièrement lourde en menaçant de jeter en prison – pour trois à cinq ans – ceux que la justice assimilera à des blasphémateurs.
Le jeune romancier Anouar Rahmani est actuellement dans le viseur du Parquet algérien au titre de cet article scélérat, le procureur de la République ayant ouvert une enquête contre lui. L’écrivain a été interrogé le 28 février dernier pendant plusieurs heures au poste de police de Tipasa, ville côtière sis à 61 kilomètres à l’Ouest d’Alger et qu’Albert Camus a rendu célèbre dans Noces à Tipasa.
Pourquoi cet intérêt pour Anouar Rahmani ? Dans son blogue « Le Journal d’un Algérien atypique », il défend, entre autres, les communautés homosexuelles, les minorités religieuses, le droit à l’incroyance et toutes les formes de liberté. Ce qui a de quoi donner de l’urticaire aux islamistes qui ne lui ont pas ménagé insultes, calomnies et harcèlements. Avec l’enquête ouverte par le Parquet algérien, un pas supplémentaire a été accompli. La répression se fait désormais officielle, surtout depuis le succès de son dernier roman écrit en arabe ; il a pour titre en français, La Ville des ombres blanches.
Cet ouvrage met en scène une histoire d’amour entre deux hommes à l’époque de la guerre d’indépendance algérienne : un maquisard du FLN et un Pied-Noir. En soi, le thème est propre à faire avaler leur tapis de prière aux bigots et leur képi aux militaires. Mais c’est un chapitre en particulier qui motiverait l’accusation de blasphème : un enfant discute avec un clochard qui se fait appeler « Dieu » et explique au bambin qu’il a créé le ciel à partir d’un chewing-gum. Anouar Rahmani n’a trouvé aucun éditeur en Algérie pour le publier. Aussi a-t-il diffusé La Ville des ombres blanches sur la Toile, l’an passé. Selon l’écrivain, le roman a été lu par 12000 internautes en deux mois.
Avec Human Rights Watch, l’organisation d’écrivains PEN International s’est mobilisée pour convaincre les autorités algériennes de renoncer aux poursuites contre Rahmani et d’abandonner l’article 144bis 2 (Vous pouvez participez à cette action de protestation en cliquant ici).
Pour l’instant, Anouar Rahmani n’est pas arrêté. Mais son inculpation peut intervenir à tout moment. Or, il faut savoir qu’un journaliste et blogueur algérien est mort en prison le 11 décembre dernier. Mohamed Tamalt avait été condamné en juillet 2016 à deux ans de prison pour « offense au président de la République ». Pour protester contre sa condamnation, Tamalt a fait une grève de la faim pendant trois mois, avant de sombrer dans le coma, puis de mourir des suites « d’une infection pulmonaire », à en croire l’administration pénitentiaire.
Il n’est pas plus grands blasphémateurs que ceux qui ont inventé la notion de blasphème. En voulant protéger « l’honneur de Dieu », ils abaissent l’Eternel au niveau d’un être mortel. En suivant leur folle logique, il faudrait donc poursuivre les rédacteurs et les utilisateurs de l’article 144bis 2. Les poursuivre pour blasphème, bien entendu !
Jean-Noël Cuénod