Constat initial du premier tour des élections régionales françaises: l’Hexagone s’installe dans le tripartisme avec un bloc nationaliste à 27-28% représenté par le FN, un bloc libéral (Les Républicains et les centristes de l’UDI), juste un peu en-dessous du Front national, et un bloc social-démocrate (le PS et les radicaux de gauche) à 23-24%. Cette configuration, la Suisse la connaît bien avec l’UDC, les radicaux-libéraux et les démocrates-chrétiens, ainsi que le troisième larron socialiste. On pourrait un jour ou l’autre, la retrouver en Grande-Bretagne si UKIP parvient, malgré la loi électorale britannique, à s’insérer dans le traditionnel duel entre conservateurs et travaillistes.
Elle traduit la nouvelle donne sociologique provoquée par le brutal brassage des cartes de l’économie globalisée. Les électeurs qui travaillent comme patrons ou salariés dans des secteurs essentiellement actifs sur le marché national craignent d’être déclassés par la concurrence sauvage de la mondialisation; tout ce qui vient de l’étranger – accords européens, migrants, réfugiés – est perçu comme une source de danger. Danger pour son travail. Danger pour la sécurité avec les récents attentats. Danger pour ses habitudes de vie. Ce groupe d’électeurs est forcément sensible aux chants des sirènes lepénistes, blochériennes ou europhobes.
Les électeurs qui, au contraire, comme patrons ou salariés s’activent dans des secteurs qui ne craignent pas la concurrence mondialisée, ne peuvent pas se reconnaître dans cet esprit de fermeture. Une fermeture qu’ils estiment périlleuses pour leurs propres intérêts. Ils privilégient donc les partis libéraux comme, en Suisse, le PLR (et le PDC avec, parfois, une teinte sociale) et en France, Les Républicains et l’UDI.
Il y a donc deux droites de force à peu près égale avec pour troisième pôle, les socialistes qui développent à la fois un discours d’ouverture et de protection. Parfois, ce discours est audible. Souvent, il ne l’est pas. Néanmoins, on constate, tant en France qu’en Suisse, que, malgré leur baisse de régime – forte en France, faible en Suisse – les socialistes tiennent le coup dans une période qui leur est très défavorable. Après tout, avec 24%, le PS français est très loin de disparaître du paysage politique. Et si l’on ajoute les 10% des autres partis voisins (Front de Gauche et écologistes), la gauche française atteint 34%, soit plus que le bloc FN et le boc LR-UDI.
Sarkozy joue très gros
Revenons en France et à ce premier tour des régionales. Deuxième constat : rien n’est encore joué. Certes, le Front national arrive en tête dans six régions sur treize, ce qui est énorme et dépasse même les plus flatteuses estimations. Toutefois, pour l’emporter au second tour, il n’a aucune réserve de voix. Son électorat s’est fortement mobilisé au premier tour et il ne peut guère compter sur les abstentionnistes pour engranger de nouveaux suffrages. Son seul espoir est le maintien au second tour des socialistes et de la droite LR et centristes arrivés en deuxième et troisième positions. Mais si l’un des deux suivants se désistent ou fusionnent avec l’autre, les chances de victoire du FN seront alors réduites à peu de choses.
Rappelons que les listes qui ont obtenu au moins 10% ont le droit de se maintenir. A 5% au moins, elles peuvent fusionner avec une liste qualifiée pour le second tour.
Les socialistes ont paru très confus dans leurs explications. Il apparaît que si dans certains cas, ils préconisent la fusion avec la liste LR-centristes, voire le désistement, pour s’opposer au FN, dans d’autres, ils semblent enclins à se maintenir.
Nicolas Sarkozy – qui avait sa tête des mauvais jours – a annoncé devant les caméras que les candidats LR ne désisteront pas en faveur d’un socialiste et qu’il n’y aurait aucune fusion de liste. Et déjà, la discorde survient avec son allié Jean-Christophe Lagarde, le patron des centristes de l’UDI qui, lui, demande à ses candidats de se retirer en cas de duel entre le FN et le PS pour faire barrage aux frontistes. La cohabitation entre LR, très marquée à droite par Sarkozy, et les centristes devient de plus en plus malaisée.
Pour l’ancien président de la République ce premier tour a des allures de défaites. Tout d’abord, le parti qu’il dirige n’arrive que deuxième derrière le FN et ses listes ne sont en tête que dans quatre régions sur treize. S’il parvient à renverser la situation au second tour, cette défaite sera oubliée. Mais si ce résultat médiocre se confirme la semaine prochaine, alors le leadership de Sarkozy sera fortement remis en cause à la tête du parti LR où l’ancien locataire de l’Elysée ne manque pas de rivaux. Dès lors, son opération «reconquête» à l’élection présidentielle de 2017 risque fort d’échouer. Cette semaine, Sarkozy joue très gros.
Pour le président François Hollande, si le Front national parvient à conquérir une ou deux régions (sans doute le Nord-Picardie pour Marine Le Pen et Alpes-Provence-Côte d’Azur pour sa nièce Marion Maréchal-Le Pen), Nicolas Sarkozy en sortira très affaibli. D’une part, tout le monde parlera de la victoire historique des frontistes même si le parti LR remporte plus de régions. D’autre part, le succès du clan Le Pen démontrera que la stratégie sarkozyste de placer la droite libérale sur le même terrain que l’extrême droite était vouée à l’échec.
Mais François Hollande jouera-t-il avec la flamme du FN en persuadant les socialistes de se maintenir au second tour au risque de faire élire un (ou plutôt une !) frontiste. Ce cynisme risque de lui coûter fort cher, au sein même de son propre camp.
Jean-Noël Cuénod
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