Colonialisme: l’amère rançon d’une gloire défunte

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Une manif de soutien au putschistes à Niamey, le 11 août dernier, ©AFP captée sur Médiapart

L’universalisme des principes démocratiques et de leur corollaire, l’Etat de droit, est aujourd’hui rejeté par de nombreux pays africains. Quitte à tourner leurs faveurs vers une autre puissance coloniale, la Russie et ses milices mafieuses. L’Occident n’en finit pas de payer aujourd’hui l’amère rançon de sa gloire coloniale défunte.

Le putsch militaire au Niger est un chapitre supplémentaire à la longue saga du rejet de la démocratie par la seule force agissante dans certains pays de ce continent: l’armée.

Parmi les causes de ce rejet: la Françafrique, comme le rappelle Jean-Michel Thénard, l’un des rédac’chefs du Canard Enchaîné:

La Françafrique est un zombie. Morte, elle se perpétue, elle se renouvelle, elle se transmet. Un dictateur meurt au Tchad, le président de la République française se précipite pour adouber son fils comme successeur. Le Burkina Faso soutient les putschistes du Niger, la France coupe son aide au développement. La Françafrique personne ne l’assume plus mais elle est toujours là, et bien souvent avec l’accord des dirigeants africains.

Car rien n’est simple dans les relations post-coloniales qui atteignent le sommet des ambiguïtés.

Un phénomène qui dépasse très largement la « Françafrique »

Toutefois, le rejet des principes universels de la démocratie par les anciens pays colonisés dépasse très largement le seul rapport entre la France et ses anciennes possessions. Il implique l’ensemble des Etats de type occidental (1).

Qu’entend-on par « principes universels de la démocratie »? Le fait que chaque être humain – quelles que soient ses appartenances nationales, culturelles, religieuses, sociales ou familiales – aspire à vivre en paix, sans subir les aléas angoissants d’un pouvoir arbitraire, sans autres limites à sa liberté que celles qu’il s’est lui-même prescrites en tant que citoyen agissant au sein d’un corps électoral.

Ce n’est pas l’assurance du bonheur, c’est la possibilité offerte à chacune et à chacun de le construire.

Ces beaux principes, qui refuseraient d’en partager les fruits?

Pas seulement une manipulation de masse

A voir les manifs de soutien aux putschistes en Afrique et leur glorification de la dictature moscovite, ils sont nombreux à les rejeter. On peut toujours se rassurer en disant que ses cortèges ont été orchestrés et leur importance, grossie, qu’à Paris, des Nigériens ont exprimé publiquement leur soutien au président destitué.

Il n’empêche, la multiplication des manifestations de ce genre, au Niger, en Centrafrique, au Burkina Faso, au Mali, au Congo (RDC) et ailleurs dépasse la simple manipulation des masses. D’ailleurs, pour fonctionner, elle doit trouver un écho dans les populations concernées.

Les dictatures russe et chinoise sont les principales propagatrices du rejet de la démocratie universaliste, des droits de l’humain et de l’Etat de droit. En toute logique, puisque leur régime ne saurait supporter ces mauvais exemples.

Propagande moscovite et pékinoise

La propagande de ces tyrannies présente les Occidentaux comme des ennemis – et parfois ces derniers en donnent l’impression – dont il faut rejeter tous les principes démocratiques présentés comme autant d’armes hostiles.

Certes, ni à Moscou ni à Pékin, les sujets (on ne saurait parler de citoyens) ne peuvent sexprimer en toute liberté. Mais il y a fort à parier que le discours anti-occidental est aussi partagé par leurs populations.

Que la Russie mène la guerre contre l’une de ses anciennes colonies, l’Ukraine, n’est pas rédhibitoire aux yeux de moult Africains. Tout d’abord, l’Ukraine, c’est loin; cette guerre n’est qu’une affaire entre Européens; nous avons bien d’autres soucis.

Ensuite, la Russie bénéficie, aux yeux des anciens à la parole si respectée, de l’aura anti-colonialiste qui nimbait feu l’Union Soviétique.

Par son Histoire, la Chine prend aisément rang au sein des principales victimes du colonialisme. Les Etats occidentaux d’abord, puis le Japon ensuite, l’ont tant maltraitée et pendant si longtemps… D’où la sympathie qu’elle peut susciter auprès des pays qui ont connu un sort semblable.

L’ancienne « perle de l’Empire britannique », l’Inde déroule le même discours anti-occidental alors que sa démocratie est en passe d’être vidée de sa substance par le nationalisme hindou du premier ministre Narendra Modi.

Les Occidentaux à l’inverse de leurs principes

L’actuel succès de ce discours est avant tout dû aux Occidentaux eux-mêmes. En agissant de façon inverse à leurs grands principes contre les peuples qu’ils ont colonisés, ils les ont ainsi persuadés que la démocratie n’était réservée qu’aux colons puis aux anciens colons. Elle est devenue un marqueur identitaire de la colonisation.

Après les indépendances en Afrique, la corruption y a rapidement crû, souvent sous l’influence des anciennes puissances coloniales. Les systèmes démocratiques hâtivement plaqués sur les réalités africaines n’ont pas contribué à la freiner, bien au contraire. Ce qui a flétri l’idée démocratique au sein des Etats nouvellement indépendants.

A ces démocraties débutantes, il manquait son inséparable jumeau, l’Etat de droit.

Sans lui, la démocratie devient la proie de toutes les dérives. Certes, il ne saurait extirper complètement et définitivement la corruption. Elle est l’ombre de tous les pouvoirs. Dès que des intérêts particuliers veulent obtenir un avantage d’une instance générale, la tentation est vive de graisser la patte de ceux qui sont en position d’ouvrir la bonne porte.

La corruption existe aussi dans les pays démocratiques dotés d’un Etat de droit en bonne et due forme. Mais l’exercice des contre-pouvoirs, la libre expression des débats et l’existence d’un journalisme indépendant en limite singulièrement les effets.

Quel porte-drapeau de la démocratie universelle?

Qui est aujourd’hui en mesure de rendre attractive la démocratie universaliste? Les Etats-Unis, qui restent, pour quelques temps encore, la première puissance mondiale?

Leur pratique de la politique du pitre depuis plusieurs années les discrédite. Une nation minée par ses divisions de plus en plus radicales, qui n’a pour figures de proue que Trump le cinglé et Biden le vieillard est trop malade pour servir de porte-drapeau.

L’Europe ne parvenant pas, au regard des Africains, à se défaire de son passé colonial, elle ne saurait devenir un modèle incontestable.

D’aucuns objecteront que tous les pays européens n’ont pas possédé de colonies. Fausse impression. Tous les pays européens sans exception ont participé peu ou prou à l’ « aventure coloniale ». Par exemple, la Suisse – qui n’a jamais possédé la moindre colonie – y a contribué par le commerce mais aussi par les armes.

Même la Suisse fut coloniale

L’historien Andreas Zangger, dans un article paru dans Le Temps du 14 août 2020, souligne la forte implication de la Suisse:

L’économiste Richard Behrendt écrivait déjà il y a 90 ans que la Suisse avait davantage profité de limpérialisme que les colonisateurs eux-mêmes parce que ceux-ci devaient assumer les coûts considérables du maintien de leurs empires. En revanche, les Suisses qui parvenaient à trouver un accès aux colonies pouvaient réaliser de grands profits. Et ce sont surtout les classes les plus aisées qui en ont profité.

L’historien Peter Huber, cité par la Tribune de Genève du 12 juillet 2022, estime entre 7000 et 8000 le nombre de Suisses qui ont participé à la guerre d’Indochine et à celle d’Algérie entre 1946 et 1962, dans les rangs de la Légion Etrangère française. Un millier d’entre eux y ont trouvé la mort.

Les Archives fédérales suisses évaluent entre 40 000 et 80 000 le nombre de Suisses engagés à la Légion Etrangère depuis la création de ce corps d’élite en 1831. Une grande partie d’entre eux ont combattu lors des guerres coloniales que la France a menées au XIXe et XXe siècles.

Ce passé colonial ne pèse donc pas seulement sur les épaules des Français, Britanniques, Belges,  Néerlandais, Espagnols, Portugais voire des Allemands et Italiens dans une moindre mesure.

Une légitimité à peu de frais

Il est évident que les putschistes et autres militaires parvenus au pouvoir par la force utilisent ce passé de façon cynique pour se faire une légitimité à peu de frais.

Ce discours passe d’autant mieux en Afrique que les forces françaises et européennes ont été incapables d’éradiquer le djihadisme dans les régions africaines touchées par ce fléau. Or, c’était le but principal de la présence militaire française au XXIe siècle.

Il est donc temps de ne plus considérer l’Afrique comme un enfant dont il faut guider les pas. Comme toutes les autres nations, elle commettra des erreurs; elle errera ici ou là; elle se jettera dans les bras de tristes personnages; elle subira des dictatures et s’en libérera un jour ou l’autre (rien n’est plus fragile qu’un régime fort). Mais ce sera son Histoire, forgée par ses propres choix.

Quant aux pays qui vivent selon les principes de la démocratie et de l’Etat de droit qu’ils le fassent de façon exemplaire, ce qui est fort loin d’être le cas actuellement.

C’est par leur exemple – et par non leurs sermons plus ou moins hypocrites – qu’ils donneront l’envie à d’autres cultures, d’autres nations de recevoir et de transmettre l’universelle envie de l’humain à s’émanciper de toutes les servitudes qu’il n’aurait pas librement acceptées.

Jean-Noël Cuénod

1 Même si géographiquement, le Japon ne se situe pas en Occident, il en fait partie par son fonctionnement politique et économique; d’ailleurs, il fut, lui aussi, une puissance coloniale.

2 réflexions sur « Colonialisme: l’amère rançon d’une gloire défunte »

  1. Excellente analyse. Félicitations et merci pour cette belle mise en perspective appuyée sur une solide culture. Et comme toujours un article très bien écrit.

  2. “Guider par son exemple” n’est que le nouveau habillement moraliste de la “charge de l’homme blanc” chère au chantre du colonialisme Kipling. L’autoflagellation européenne est justement perçue par les anciens colonisés comme un nouvelle forme de la suprématie blanche, maintenant moralisatrice à défaut de force militaire.

    Quelle est l’alternative? Défendre ses intérêts, et pourquoi pas, ses institutions politiques, non pas pour les imposer aux autres, mais tout simplement comme les meilleures adaptés à notre mentalité et notre façon de vivre.

    Et c’est seulement quand nous cesserons de nous dénigrer nous-mêmes que nous donnerons envie à d’autres de nous imiter, si cela leur chante.

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