Caillebotte: « C’est l’histoire d’un mec…

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Autoportrait de Gustave Caillebotte vers 1892 ©JNC_Forge de la poésie; photo prise vendredi 22 novembre 2024 au Musée d’Orsay.

Il y a parfois du malheur à être riche. Pendant trop longtemps, Gustave Caillebotte a été considéré surtout comme l’un des mécènes les plus importants des impressionnistes et l’organisateur efficace de leur – osons l’anachronisme – «  communication ». Son œuvre peint s’en est trouvé relégué au second plan. L’actuelle expo au Musée d’Orsay rend éclatante justice à cet artiste majeur du XIXe siècle.

Fils d’un drapier fournisseur de l’armée française, Gustave Caillebotte (1848-1894) disposait d’une rente annuelle de 150 000 francs français, soit entre 1 million -1 million et demi d’euros actuels (1). De quoi exercer sa munificence auprès des autres peintres du mouvement impressionniste (Caillebotte préférait le terme « mouvement des indépendants ») en achetant leur toile et en finançant des expositions.

De plus, cette aisance, par rapport à la plupart de ses compagnons, ouvrait bien des portes qui, sans lui, eussent été fermées au nez des artistes.

L’artiste Caillebotte redécouvert

Aujourd’hui, cet aspect s’estompe pour laisser apparaître toute l’étendue, la profondeur de son talent artistique et la place éminente qu’il occupe dans la peinture du XIXe siècle.

Fils de la bourgeoisie montante de la IIIe République, Gustave Caillebotte en est le fidèle témoin pictural. Ses modèles sont avant tout des hommes. Les voila, curieux et contemplatifs, observant de leur balcon le boulevard qui grouille à leurs pieds.

La bourgeoisie, malgré sa révolution « égalitaire », a  relégué les femmes dans la cuisine ou le boudoir, pour les plus chanceuses. Certes, Caillebotte en représente quelques-unes au bras de leur mari ou recevant l’hommage discret d’un passant pressé. Mais, nous sommes principalement entre mecs, sportifs, dynamiques, bien portants, jouant aux cartes, canotant sur l’Yerres, promenant leur haut-de-forme sur les boulevards et les chantiers qui annoncent des lendemains qui ne sauraient déchanter.

Les deux pieds sur son siècle

Rien ne serait plus anachronique que de conférer à ce choix de la masculinité une démarche révélant on ne sait quelle homosexualité latente (lire à ce propos, cet article de BeauxArts Magazine). Il s’agit avant tout de mettre en scène la camaraderie fraternelle d’hommes les deux pieds bien posés sur leur siècle.

Gustave Caillebotte les représente en vérité, tels qu’ils apparaissent ou veulent apparaître sans afféterie, sans chichi, ni falbalas.

Cette bourgeoisie nouvelle est suffisamment sûre d’elle-même pour ne plus avoir besoin de se justifier par la mise en scène de modèles antiques et mythologiques aux relents monarchistes chers aux peintres pompiers qui sévissent encore à l’époque de Caillebotte.

Les épiciers ne se prennent plus pour Néron

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« Raboteurs de Parquet », toile refusée par le Salon en 1874 ©Wikimedia Commons.

Contrairement à la chanson de Jacques Brel, les épiciers ne se prennent plus pour Néron (2). Il leur suffit d’être eux-mêmes.

Caillebotte n’est pas intéressé que par les bourgeois. Les ouvriers figurent également parmi ses modèles favoris. Eux aussi sont partie prenante de cette époque où le progrès ne présente alors au monde que sa face aimable.

Comme pour faire opposition aux poses hiératiques des modèles de l’aristocratie, Caillebotte glorifie le travail de ces prolétaires qui commencent à prendre conscience d’eux-mêmes. Ce qui sera diversement apprécié par les autorités artistiques qui ont refusé en 1874, pour leur Salon officiel, ses fameux « raboteurs de parquet ».

Le torse nu d’ouvriers au travail s’échinant sur un parquet ne saurait rivaliser avec « La Naissance de Vénus » du très académique William Bouguereau, –œuvre relevant du « léché flasque » selon l’écrivain Joris-Karl Huysmans, – qui sera reçue, elle, en grande pompe par le Salon en 1879.

Mais que fait ce clébard?

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« Le Pont de l’Europe » (1876) ©Wikimedia Commons.

Les contemporains du peintre se montreront souvent indignés par le trivial qui donne aux œuvres de Caillebotte une saveur un brin canaille et une touche d’humour bien venue. Mais que fait ce clébard des rues qui trottine au premier plan du grand tableau « Le Pont de l’Europe »?

Gustave Caillebotte réussit ce tour de force de faire œuvre de réalisme sans jamais tomber dans l’effet « photographie ». Chaque sujet, chaque objet ne se contentent pas d’être représentés, ils racontent tous une histoire.

Jean-Noël Cuénod

L’exposition Caillebotte se déroule au Musée d’Orsay jusqu’au 19 janvier 2025, Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris. https://www.musee-orsay.fr

1 Conversion effectuée par Chat-GPT 4 sur la base de l’année 1870.

2 « Les toros s’ennuient le dimanche ».

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