Il a une drôle de tête, ce 1er Août. Une tête masquée. En ce jour où la Suisse célèbre sa Fête nationale et ses 729 ans d’existence, Sa Majesté Covid XIX s’est invitée dans l’une des plus vieilles républiques de la planète. Manifestations supprimées ou recalibrées ou transformées voire éclatées par quartiers. Retour sur un drôle de pays, le mien.
Fédéralisme oblige, c’est à chaque commune de faire sa fête en fonction des normes sanitaires cantonales et fédérales. Les grands feux traditionnels jetteront bien leurs flammes jusqu’au ciel « où plane l’aigle au vol sublime » (Prière Patriotique) mais autour du foyer les jauges seront réduites. Le gel hydro-alcoolique a jeté comme un froid. Et plus question de bouloter son cervelas grillé et sa raclette au coude-à-coude sur de grandes tables nappées de papier pendant que le maire[1] débite son discours que personne n’écoute.
Drôle de pays disais-je, que l’on dit discipliné mais déteste qu’on lui impose quoique ce soit ; libéral mais protectionniste ; patriote aux origines culturelles les plus variées et les plus lointaines ; soucieux d’éliminer toute corruption dans sa classe politique mais acceptant que l’argent des corrompus des autres pays gonfle ses coffres ; passant du « y en a point comme nous » du poète vaudois et moqueur Jean Villard-Gilles au « la Suisse n’existe pas » d’un autre artiste d’helvète origine, Ben.
Etre Suisse relève de l’oxymore
Les Suisses sont catholiques quand on les croit protestants et protestants quand on les suppose catholiques, à moins qu’ils ne fréquentent la mosquée (sans minaret) ou la pagode ou grossissent la masse de ceux qui ne savent ni qui croire ni que croire. Leur pays comprend quatre langues officielles : allemand, français, italien et romanche. Mais c’est souvent en anglais que les jeunes officiers de l’armée échangent entre francophones et germanophones.
Même si consommer en Suisse coûte bonbon, le pouvoir d’achat y est nettement plus élevé que dans les Etats voisins. Ce qui rend la pauvreté d’autant plus insupportable à ceux qui la subissent ; ils sont de plus en plus nombreux depuis que la contamination a pris les économies en grippe.
Passant de la xénophobie à la générosité, de la fermeture à l’ouverture, décidément les Suisses relèvent de l’oxymore…Tiens, à ce stade du papier, je suis en train de me demander qui puis-je bien être ? Qu’est-ce qui me fait Suisse, même au fin fond du Périgord Vert ? La langue ? Je parle celle de mes voisins qui ont lu les Fables de La Fontaine à l’école, tout comme moi. La littérature ? Rousseau, Constant, Germaine de Staël, Cendrars, Jaccottet, Bouvier participent de la civilisation française, comme Dürrenmatt, Frisch et Walser enrichissent la culture germanique.
Ce qui fait Suisses les Suisses
Ce qui fait Suisses les Suisses, c’est un ensemble de petites choses qui traversent les frontières cantonales et linguistiques : le goût du Cenovis[2] (s’il est un vice suisse, c’est bien celui-là !), le cirque national Knie, le VRAI gruyère, le VRAI emmental, la VRAIE fondue, la Nati[3] foot et hockey sur glace, les sentiers pédestres bien balisés, les cars jaunes de la Poste, la Migros, la Coop, les petits trains de montagne.
Voilà pour l’aspect folklorique, qu’on ne saurait dédaigner. Toutefois, ce qui fait surtout Suisses les Suisses, ce sont les institutions politiques. La démocratie semi-directe, le fédéralisme aux rouages bien huilés, la pratique du débat, le goût du consensus, la collégialité dans les décisions forment une véritable culture qui transcende les différences d’origines et de langues.
Comme tous les pays, la Suisse a ses côtés sombres, voire détestables. Mais ce qu’elle apporte au monde est inversement proportionnel à sa taille : l’exemple d’une démocratie authentique qui résiste à l’usure du temps.
Jean-Noël Cuénod
[1] C’est le titre du premier magistrat de la commune mais seulement à Genève, aux Jura et Jura Bernois ; les Vaudois et les Fribourgeois bifferont le mot « maire » pour le remplacer par « syndic », les Neuchâtelois, par « président du Conseil communal » et les Valaisans, par « président de commune ». C’est la Suisse. Faudra vous y faire….
[2] Pâte à tartiner qui ne réserve ses charmes qu’aux helvétiques papilles.
[3] Surnom translangue des équipes suisses.
ESPACE VIDEO
Certes, le canton de Vaud ne parle que l’une des quatre langues de la Confédération, le français. Néanmoins, par ses paysages et son occupation du sol, il est à lui seul une petite Suisse : Alpes et Jura, villes et plaines, villages et forêts, vignes et champs, lacs et glacier. Alors, suivez le poète vaudois Jean Villard-Gilles – l’éternel auteur-compositeur des « Trois Cloches » popularisées par Edith Piaf – il vous dessine les méandres de la plus vaudoise des rivières.
Merci pour ce billet et bon Premier Août JNC !
Je ne peux m’empêcher d’ajouter mon grain de sel à la définition de la Suisse avec l’aide de Denis de Rougemont selon lequel la Suisse c’est l’union dans la diversité. Je cite de mémoire.