Alors que le président français refuse de donner un statut de co-officialité à la langue corse, même dans l’île où elle est parlée, sa présidence est marquée, à la fois par l’usage intense du franglais et la résurgence de mots français tombés en désuétude. Le pouvoir passe par un jeu de langues.Pour expliquer son refus, Emmanuel Macron a fulminé cet argument jupitérien et bien dans sa ligne jacobine : « Dans la République française, il y a une seule langue officielle, le français ». Circulez, il n’y a rien à entendre ! Pourtant, la publication des actes officiels à la fois en français et en corse, dans la seule Ile de Beauté, n’empêcherait nullement notre langue de rester celle de la République. A cela, Macronpiter répliquerait sans doute qu’en octroyant cette modeste concession aux Corses, il devrait aussi satisfaire les revendications similaires des Bretons, des Alsaciens, des Occitans, des Savoyards. Et alors ? La langue du grand Molière disparaîtrait-elle si les textes officiels étaient publiés en français et en breton à Rennes, en français et en occitan à Toulouse, en français et en alsacien à Strasbourg, en français et en arpitan à Annecy ? De toute évidence, non. La Suisse connaît quatre langues officielles. Ni le français, ni l’allemand, ni l’italien pâtissent de cette situation, au contraire. Quant au romanche, son statut de co-officialité l’a peut-être sauvé de sa disparition, ce qui aurait été malheureux pour la richesse culturelle de la Suisse.
« La langue a été le premier sédiment de la France, il est indispensable que nous gardions ce qui nous a fait » a proclamé Emmanuel Macron en Corse. Le français serait-il un sédiment si fragile qu’il serait pulvérisé en cas de co-officialité régionale ? C’est faire peu de cas de son capital culturel, incomparable par rapport aux langues régionales de la République. Notre langue resterait de toute façon prépondérante ; la France serait même perçue comme plus proche des populations qui forment ses marches.
Macron l’oxymore
Mais justement, cette proximité, le président semble la fuir. C’est sans doute l’un des ressorts qui motive sa décision concernant la Corse. A défaut qu’elle soit rare comme il en avait fait la promesse hâtive, la parole de Macronpiter reste distante. Le président déteste les collectivités territoriales qui s’interposent entre lui et « son » peuple, comme le démontre le triste sort fiscal qu’il leur a réservé et la condescendance dont il ne manque pas de faire preuve à l’égard de ces élus de la bouse. En cela, ce faux moderne reprend les vieilles habitudes de la Ve République. Paris doit garder la main sur les gueux, sinon, voyez-vous, c’est la chienlit comme le dirait de Gaulle. Autoriser la publication en Corse des textes officiels dans les deux langues, c’est céder un peu de pouvoir symbolique. Et ce peu-là est encore de trop.
Ce président, qui manie l’oxymore comme Poutine sa crosse de hockey, n’en est pas à une contradiction près. Vétilleux pour conserver la primauté absolue du français en Corse, il laisse grande ouverte la porte de la France à l’anglais et au franglais. Les correspondants étrangers – y compris les francophones – reçoivent des communications ministérielles en anglais ; les grands groupes français en font de même ; les ondes nous gavent les oreilles de chansons américaines et britanniques et même nombre de chanteurs de rock français éructent leurs borborygmes en émettant des sons anglomaniaques. Si la langue française est menacée, ce n’est certes pas par le corse !
Quant au franglais, c’est la novlangue du macronisme. Au soir du premier tour de l’élection présidentielle, Le Plouc avait assisté, Porte de Versailles, à la soirée organisée par les Macron’s. D’emblée, il fut pris en charge par des « helpers » qui en référaient à leur « boss », voire à leur CEO pour répondre à ses questions, alors que d’autres peaufinaient le « show » avec la « team ambiance ». Heureusement, pour mettre en liens les « process », « helpers » et « boss » recouraient à des « call conf ». Une vraie « strartup ». D’ailleurs, c’est la formule-clé de Macron : « Faire de la France une startup. »
Le franglais est aussi une arme de pouvoir pour Macron. En l’imposant à son mouvement, il cherche à le répandre à l’ensemble de la France afin d’accélérer l’insertion du pays dans l’économie globale de l’hypercapitalisme. D’où ce parler globish, devenu le patois de la République En Marche.
Mais le « boss », pardon, le président ne doit pas parler comme le vulgaire pékin qui milite pour lui. Emmanuel Macron – dont la culture est authentique et non haute en toc – sait tisser ses discours sur la trame de l’élégance française. Le président doit montrer qu’il est plus éduqué, plus intelligent que ses troupes et que ses interlocuteurs, heureux mortels qui reçoivent le don de sa Parole. Il utilise même des mots tombés en désuétude – perlimpinpin, galimatias etc. ; dans sa bouche, ils prennent une nouvelle vigueur. Macron s’est mis à l’école du général de Gaulle qui mobilisait d’anciennes formules, lesquelles, par leur sonorité et leur étrangeté, marquaient durablement les esprits. Cinquante-sept après, « le quarteron de généraux en retraite » qualifie toujours les auteurs du putsch d’Alger. Le « volapük » ou « la hargne, la grogne et la rogne » sont autant d’expressions qui flottent encore dans la mémoire des plus vieux.
Le corse banni de l’officialité, la grande ouverture anglomaniaque et le français châtié font partie intégrante de la stratégie macronienne. Au début, était le Verbe. Après Jupiter, Jéhovah. Carrément !
Jean-Noël Cuénod
« Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites »! Reste-t-il chez nous un seul journaliste du service public capable d’une telle rédaction dont l’humour ajoute à la vérité. Et puis attention à nos carrières??????? Cher Helvète merci !
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