On s’en doutait. On le savait même. Oui, le sinistre de l’Intérieur Bruno Retailleau a le verbe toxique. Plus toxique encore que celui du clan Le Pen car il parle au nom d’un gouvernement de droite certes, mais démocratique. Ainsi, il contribue une fois de plus à baliser la route de l’extrême-droite vers la réalité du pouvoir. Retailleau, c’est le chausse-pied des escarpins de Marine Le Pen.
« L’Etat de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré » a donc déclaré ledit chausse-pied. Devant le tollé que sa déclaration a soulevé au sein de son propre camp, il a dû rétropédaler pour lâcher qu’en fin de compte, à bien y réfléchir, « il ne peut pas y avoir de démocratie sans Etat de droit ».
Soit Bruno Retailleau ne sait pas ce qu’il dit. Dès lors, lui confier le ministère de l’Intérieur relève de la maltraitance collective. Il est vrai que dans l’état de médiocrité dans lequel la caste politicienne patauge, on ne saurait écarter d’emblée cette hypothèse…
Le message et le truchement
Soit, il a prononcé sa formule en parfaite connaissance de cause; explication la plus plausible. Tout d’abord, Retailleau n’a pas balancé son pavé vers n’importe quel marigot mais dans celui du JDD (Journal du Dimanche), hebdomadaire bolloréen tombé dans les mains de l’extrême-droite. Dès lors, pour capter l’attention de ce lectorat, rien de tel que de cracher sur les étrangers et les institutions qui protègent les droits humains. On fait dans l’antihumanisme primaire, chez ces gens-là.
En exprimant ce qui constitue sans doute le fond de sa pensée – un bien grand mot, certes! – le ministre avait un message de solidarité avec le lepénisme à faire passer. Il a donc bien choisi les mots idoines et le truchement utile.
L’art du rétropédalage
Evidemment, auprès de ce qui reste de droite démocratique, la sortie de Retailleau a suscité des réactions indignées, sincères ou non.
Pas grave! On rétropédale vite fait… Cela ne trompe personne, ni les autres membres du gouvernement ni l’extrême-droite. L’important, c’était le message initial. Le rétropédalage fait partie de la figure imposée du dérapage bien contrôlé.
Compte tenu de ces tristes circonstances, il paraît nécessaire de rappeler certains principes à la base de toute société qui se veut civilisée.
L’Etat de droit n’est pas une coquetterie pour intellectuel, ni un artifice d’avocat ni un joujou pour journaliste. Il recouvre la liberté de conscience, la liberté d’informer et d’être informé, la liberté d’aller et venir où bon nous semble; il garantit l’indépendance de la justice et l’impartialité de celles et ceux qui sont chargés de l’exercer. Il protège chacune, chacun, vous, moi, contre les abus des pouvoirs.
Le dernier garde-fou
Dès lors, opposer, comme l’a fait Retailleau, le peuple et l’Etat de droit relève de la démagogie la plus perverse. Lorsque ces propos sont proférés par le ministre chargé des forces de l’ordre, ils en deviennent insupportables. Normalement, le ministre de l’Intérieur aurait donc dû être expédié à l’extérieur… du gouvernement!
De tout temps, l’extrême-droite a cherché à dissocier peuple et Etat de droit. Parfois, les électeurs tombent dans le piège, votent pour les pourfendeurs de l’Etat de droit et finissent par regretter amèrement leur choix électoral. C’est ce qui s’est passé, notamment, en Allemagne, en 1933.
Ne pas oublier cette vérité née de l’Histoire: l’Etat de droit, c’est le dernier garde-fou quand le peuple a perdu la raison.
Jean-Noël Cuénod
La distribution, au sens statistique du terme, de certains caractères physiques et moraux des humains est bien représentée par la « courbe en cloche » ou courbe de Gauss. Que ce soit la taille des individus, leur QI ou leur degré de compassion, cette courbe nous montre que les extrêmes, les moins nombreux, encadrent la foule de ceux qui gravitent autour d’une valeur moyenne où l’on est ni grand ni petit, ni stupide ni génial, ni totalement méchant ni totalement gentil.
Monsieur Retailleau fait manifestement partie de cette queue de distribution de manipulateurs minoritaires qui essaient, et parfois y parviennent comme le faisait remarquer Jean-Noël à propos de Hitler, de faire déplacer le centre de la courbe où se trouve la foule des gens ordinaires vers son côté le plus sombre, celui où la compassion est remplacée par l’indifférence au malheur des autres et où la loi du plus fort – notamment celle qui « autorise » la violence institutionnelle – étouffe la voix des citoyens qui osent encore réclamer que soient respectés et leurs droits et leur dignité.
Bertrand