« Soyons clairs: la Russie est à l’origine de la destruction de l’Ukraine. Et la Russie finira par supporter le coût de la reconstruction de l’Ukraine ». Le secrétaire d’Etat étasunien Antony Blinken a sonné cet avertissement lors de la conférence de Londres. Certes, l’agresseur doit être le payeur. Mais à quel prix? Ne pas oublier les amères leçons du Traité de Versailles.
Une soixantaine d’Etats viennent de se réunir à Londres pour organiser dès maintenant la reconstruction de l’Ukraine. La Banque mondiale en évalue le coût final à 375 milliards d’euros (366 milliards de francs) mais l’estimation reste provisoire.
Cette conférence a permis de lever 60 milliards d’euros dont 50 milliards provenant de l’Union européennes. La Suisse annonce 1,8 milliard de francs (1,84 milliard d’euros) à l’horizon de 2028, sa participation au déminage et la création d’une assurance de guerre couvrant les investisseurs étrangers en Ukraine.
Tout à une fin même cette guerre
La guerre est loin d’être terminée. Mais tout à une fin, même les plus violents conflits. Et à leur issue, les perdants sont souvent plus nombreux que les gagnants. Il est donc essentiel de préparer dès maintenant la restauration complète d’un pays dévasté par l’agression de la Russie poutinienne.
A la condition de la préparer avec l’indispensable recul historique.
« Il faut faire payer la Russie » est aujourd’hui l’écho d’une autre formule dont les dirigeants français ont fait un usage immodéré après la Première Guerre mondiale: « Il faut faire payer l’Allemagne ».
C’est ainsi que la France et ses alliés ont soumis l’Allemagne vaincue aux rigueurs du Traité de Versailles conclu en 1919. Les émissaires allemands n’avaient pas été autorisés à participer aux négociations. Ils sont donc repartis à Berlin avec en poche un diktat catastrophique pour leur pays.
Une dette de guerre « Kolossale »
En 1921, l’Allemagne est condamnée à payer un montant extravagant de 132 milliards de marks-or, ce qui représentait une ponction annuelle de 14 % de la production nationale échelonnée sur trente ans. Un défi impossible à relever pour un pays effondré. Ces exigences ont contribué à instaurer l’inflation massive, la misère galopante et à pousser nombre d’électeurs allemands dans les bras des partis extrémistes.
Bien entendu, l’Allemagne n’a jamais pu payer une telle somme; elle a finalement réglé 23 milliards de marks-or soit 17% du montant réclamé.
En juillet 1932 à Lausanne – six mois avant l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler –, les alliés ont renoncé aux indemnités de guerre contre l’Allemagne. Trop tard, le mal était fait.
La responsabilité de Versailles dans l’avènement de Hitler
Certes, on saurait mettre sur le dos du seul Traité de Versailles la prise du pouvoir par Hitler et le parti nazi. La crise de 1929, notamment, y a tenu un rôle important.
Toutefois, comme le relève l’historien allemand Gerd Krumeich, les conséquences néfastes de Versailles ont marqué durablement les esprits en Allemagne:
Ainsi la défaite de 1918 est-elle restée la plaie ouverte du corps de la république (allemande, dite « de Weimar » -NDLR) –, une blessure qui n’a pu guérir d’aucune manière jusqu’en 1933. Les promesses et les actions concrètes de Hitler en faveur de la révision de Versailles – notamment pour révoquer en 1934 l’article 231 du traité de 1919¹ – lui ont apporté le crédit dont il avait besoin pour faire accepter son régime de non-droit à des millions d’Allemands, qui ne se reconnaissaient cependant pas dans son extrémisme.
Faire payer le clan Poutine, pas le peuple
Lorsque viendra le temps des comptes à rendre, les dirigeants d’aujourd’hui feraient bien de se rappeler Versailles.
D’autant plus que la Russie, à la fin de sa guerre inepte, sera elle aussi sur les rotules. Dès lors, faire payer les milliardaires du clan Poutine et tous les oligarques qui ont planqué leur trésor en Suisse et en Grande-Bretagne, ce serait la moindre des choses. Mais réduire le peuple russe à la misère risque fort de conduire Moscou vers un régime encore plus dictatorial, encore plus tyrannique que celui de Poutine. Serait-ce possible? Oui, le pire est toujours possible.
Jean-Noël Cuénod
1 Article 231 « Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre qui leur a été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses alliés ».