Il est des après-midis où le ciel de suie perd encore un peu plus de sa lumière. Une dépêche d’agence vous tombe comme ça sur le coin de votre portable et vous êtes projeté brutalement dans le passé, avec sur le cœur une grosse pierre : « Me Dominique Warluzel s’est éteint à l’âge de 64 ans ». Flamboyant tu étais et tu resteras, mon vieux Warlu. Une dernière flamme dans le regard et te voilà dans les étoiles.
Ces dernières années le destin avait séparé nos routes après un quart de siècle de compagnonnage, toi comme avocat et ma pomme comme chroniqueur judiciaire. Je garderai de la dernière journée que nous avons partagée, cette image émouvante : un rêve de jeunesse réalisé.
C’était à Paris en novembre 2014 au Théâtre de Poche-Montparnasse où ta pièce « Fratricide » était jouée par deux immenses acteurs : Jean-Pierre Kalfon et Pierre Santini. Tu avais déjà subi une de ces attaques qui t’ont meurtries. Compté 8, tu t’étais relevé. Ton succès dans ce Paris des stars qui te fascinait – je ne te ménageais pas mes sarcasmes sur ton côté midinette – avait de sacrés airs de revanche.
Tu te rêvais en haut de l’affiche…Et bien, tu y étais, en haut de l’affiche, avec tout le clan Alain Delon qui t’entourait ! Dieu que j’étais heureux de te voir heureux ! Enfin pendant quelques heures. Car, ce black dog qui accablait Churchill revenait vite te revoir avec ses crocs immaculés dans tes ténèbres.
Ta vie montagne russe
Ta vie montagne russe t’a conduit aux sommets les plus étincelants et aux tréfonds les plus angoissants. Tu as tout connu, ou presque, des joies et des désespoirs qui sont, d’habitude, distillés de façon moins concentrée dans une vie d’homme.
Tu te rêvais grand avocat : tu as plaidé les causes les plus célèbres. Tu te rêvais grand footballeur : tu as présidé le Servette. Tu te rêvais grande vedette télévisée : tu as conduit je ne sais combien d’émissions à la TV romande, notamment. Tu te rêvais grand acteur : tu étais le proche d’Alain Delon, tu as défendu ou côtoyé les divinités du 7ème art et deux comédiens de haut vol ont joué ta pièce.
Pour moi, tu resteras ce jeune stagiaire aux cheveux ailes de corbeaux qui tremblait de trouille avant de plaider en Cour d’assise genevoise la cause du ravisseur de Joséphine, la fille de cet écrivain que, tous deux, nous aimions tant : Frédéric Dard.
La veille de ce 5 octobre 1989, tu m’avais demandé de passer la nuit chez moi, avec ma famille. En compagnie de ton complice Olivier Péclard, nous avions joué les entraîneurs avant le combat de boxe. Il y avait de quoi stresser : tu allais affronter du haut de tes 26 ans, le baryton suprême du Barreau genevois, Marc Bonnant, l’avocat de la famille Dard. Autre poids sur tes épaules : ton patron, notre inoubliable Dominique Poncet, avait pris ce dossier uniquement pour toi.
En fait, d’entraîneurs, Olivier Péclard et moi avons plutôt tenu le rôle de soigneurs car tu avais vomi toute la nuit. Même mon chien te réconfortait.
Black dog !
Le lendemain matin, la montée de la rue Verdaine vers le Palais du Bourg-de-Four prenait des allures de Calvaire. Tout plaidait contre… ta plaidoirie : l’aura de Marc Bonnant, la bouleversante humanité de Frédéric Dard et l’insupportable évocation d’un rapt d’enfant. Disons-le tout net, tu t’en es magnifiquement sorti. Tu étais désormais mis en orbite, a star was born.
Comme si la providence s’était soudain rendue compte qu’elle avait exaucé tes souhaits les plus fous, elle a rétropédalé, la garce ! Elle t’a fait payer, dans ta chair, ce qu’elle pensait t’avoir trop donné. Je m’en veux de ne pas t’avoir assez dit que je t’aimais d’amitié et d’être trop souvent passé à côté de ton black dog sans lui flanquer un bon coup de pied aux fesses.
Adieu Warlu ! Ton patron Dominique Poncet t’attend pour plaider dans le cosmos.
Jean-Noël Cuénod
Je n’ai pas eu l’honneur de croiser la route de cet avocat mais l’hommage que tu lui rends, cher Jean Noël, est vibrant d’émotion, de reconnaissance et de respect. Mie Odile.