La nomination de Jean Castex comme premier ministre a laissé pantois nombre de médiacrates, volaille qui voletait dans la basse-cour élyséenne en caquetant : inconnu au bataillon, ce type ! D’où sort-il ? Et puis, vous avez entendu son accent ? Incroyable ! Un chef du gouvernement avec un accent ! Et un accent gersois ou pyrénéen, en plus ! Peut-on concevoir chose pareille ?
A Paris (prière de ne pas confondre avec la France), on vous classe dans de multiples petites cases, façon casiers à poussins ou à pigeons, afin de rassurer votre interlocuteur qui veut savoir à qui il a affaire ; on ne sait jamais avec les provinciaux et autres métèques… Et défense d’en sortir. Vous êtes poète ou journaliste mais pas les deux. Sinon, on ne comprend plus rien, vous comprenez ?
Le premier tri a l’accent pour critère. D’emblée, vous êtes fourré dans l’une ou l’autre case, « sans » ou « avec ». Sans accent, c’est très bien. Vous voilà de plain-pied avec les gens normaux. Etre « sans accent » vaut tatouage de reconnaissance dans la tribu parisienne.
Mais si vous êtes classé « avec accent » attendez-vous à être traité de haut, avec ce petit rictus de condescendance qui n’est que la vaine ébauche d’un sourire. Cela vous donnera ce dialogue :
– Ah, mais on dirait que vous avez un petit accent ? Belge ? Canadien ?
– Non, Carougeois.
Le questionneur reste coi, un peu déstabilisé par ce Plouc qui vient d’une invraisemblable contrée.
– Euh…Carougeois, c’est-à-dire ?
– C’est-à-dire de Carouge.
– Ah bon ? Et c’est où Carouge ?
– Dans le canton de Genève.
– De Genève… De Genève… Donc, en Suisse, c’est ça ?
– C’est ça.
Le visage du questionneur s’illumine, il peut s’accrocher à la branche des clichés Banque-Chocolat-Horlogerie. Il est presqu’en pays de connaissance…Presque.
– Mais alors vous avez l’accent suisse, j’y suis !
Pas plus d’accent suisse que de trou dans le gruyère
Et c’est là que vous expliquez : non, vous n’y êtes pas du tout. Il y a des accents genevois (avec variantes à Carouge, Sécheron, La Jonction, Chêne etc.), vaudois (La Côte, Lausanne, Gros-de-Vaud, Vevey, Montreux, Pays d’En-Haut, Yverdon et ses contrées du Nord), valaisans (Bas-Valais, Centre, Haut, droite du Rhône, gauche du Rhône, plaine ou fonds de vallées latérales), Fribourgeois (Ville ou Gruyère), Neuchâtel (Bas ou Haut), Jurassien (Delémont ou Porrentruy), sans compter les multiples accents des dialectes alémaniques et italophones. Mais il n’y a pas plus d’accent suisse qu’il n’y a de trou dans le gruyère[1].
Toutes ces nuances fédérales font bailler le centraliste parisien : trop de cases à remplir ! Vous profitez de cet assoupissement passager pour contre-attaquer :
– Mais vous aussi, vous avez un accent !
– Moi ? Comment ça ? Mais je n’ai pas le moindre accent !
Réprobation scandalisée de l’interlocuteur parisien. En des temps moins couards, il vous aurait convoqué sur le pré, illico !
Et pourtant, oui, il a un accent, le Parigot. Un accent à la fois plat et pointu, légèrement nasillard. Reconnaissable entre mille. Ce ne sont pas les Marseillais, les Aixois, les Savoyards, les Périgordins, les Niçois, les Biarrots, les Palois, les Strasbourgeois, les Mulhousiens, les Lillois qui me contrediront. Mais voilà, le Parisien est persuadé que son accent n’en est pas un. Son parler, c’est la norme. Même s’il prononce quat’ à la place de quatre, lé à la place de lait, praujé, à la place de projet ou ne fait aucune différence entre la cote qui grimpe à la bourse et la côte qui fait grimper les cyclistes.
Avec son accent du Gers agrémenté de nuances pyrénéennes, Jean Castex aura, au moins au début, l’oreille d’une grande partie des Français. Ça ne saurait durer. Mais c’est toujours bon à prendre.
Jean-Noël Cuénod
[1] Deux fromages à éviter : le gruyère français et le camembert suisse. Et si vous aimez les trous, jetez votre dévolu laitier sur une autre spécialité helvétique : l’emmental. Fuyez ses contrefaçons en France, pays qui ne manque pas d’excellents fromages et devrait donc s’abstenir de contrefaire ceux des autres ! C’était la séquence fromageo-souverainiste du Plouc.
VIDEO
L’accent vaudois chanté par le Cabaret Chaud 7
jj’espère ne pas avoir trop l’accent grâve
Et le petit Napoleone Buonaparte, il avait l’accent de quel arrondissement de Paris?
Que reste-t’il de l’accent genevois ?
Ayant habité au rez d’un immeuble des Eaux-Vives, je ne pouvais éviter d’entendre
les passants : espagnol (de tous continents), portugais, anglais (plutôt no-English),arabe (je ne sais distinguer), slave (idem), cantonais, vietnamien, philippin, de temps en temps un gamin répondait en français à une question de sa mère en portugais. Plus de Köbis, plus de genevois !!!
Depuis que je suis à Veyrier, j’ai réentendu l’accent genevois, heureux, mais attention, les parlants (pour faire moderne) sont dans la septentaine sinon plus.
Peut-être faudrait-il « classer » les accents comme on classe les monuments ?