La politesse, un acte révolutionnaire

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Dessin de Phil Umbdenstock (DNA)

Le Plouc va vous entretenir d’un truc vachement ringard, la politesse. Décalée, dépassée, délaissée, la politesse, dans une société médiamercantile qui atomise les nouveaux esclaves en une myriade de communautés hostiles, voire ennemies au sein même des nations. Se situant à l’inverse de cette tendance, la politesse est donc devenue un acte révolutionnaire.

L’Etatsunien Trump, le Brésilien Bolsonaro, l’Italie Salvini, le Philippin Duterte ont séduit les foules par leur vulgarité et la brutalité de leurs discours. On aurait pu croire que cette violence verbale, entraînant la violence tout court, aurait permis à ces affreux de prendre le pouvoir mais non pas de le conserver. Or, Trump, Salvini et Duterte demeurent aussi populaires que lors de leur élection, voire plus. Il n’y a que Bolsonaro dont la cote de popularité se soit effondrée.

Force est de reconnaître que le mensonge, la grossièreté et la vulgarité et se révèlent payantes[1]. Ce qui jadis aurait provoqué la mort politique d’un dirigeant, devient aujourd’hui la clef de son succès. Que les âmes sensibles sèchent leurs larmes pour mieux voir la gluante réalité en face. Ce phénomène dépasse largement la personnalité des clowns graveleux qui nous dirigent. Ils ne sont que les reflets de leur époque marquée par l’avènement du capitalisme financier succédant au capitalisme industriel à la tête de l’économie devenue hors-sol. Phénomène encore accentué par l’apparition des technologies numériques qui ont permis la diffusion des réseaux sociaux à toute la planète.

La bulle des tribus 

La tendance à s’enfermer dans sa propre bulle d’opinions et de préjugés pour ne surtout pas regarder ailleurs a toujours existé. Facebook et les autres réseaux ne l’ont pas inventée mais ils l’ont fortement accentuée. Jadis, le lecteur de l’Humanité et celui du Figaro n’appartenaient pas à la même tribu. Toutefois, s’ils avaient des événements des vues diamétralement opposées, au moins parlaient-ils de la même chose. Aujourd’hui, les algorythmes des réseaux sociaux sélectionnant les médias en fonction des intérêts de chaque utilisateur, nous disposons de moins en moins des mêmes informations. Dès lors, comment débattre puisque bientôt nous ne parlerons plus de la même chose ?

Cette stérilisation du débat, loin d’apaiser les tensions, les augmentent. Lorsque je débats, je dois forcément m’ouvrir à mon adversaire, ne serait-ce que pour le contredire. Je dois l’écouter, le jauger, tenter de le comprendre. Mais si nous ne sommes même pas d’accord sur les faits à débattre, ce jeu de connexion s’arrête net. Je n’ai plus à « calculer » mon contradicteur qui peut alors aisément passer du statut d’adversaire à celui d’ennemi.

Par conséquent, les faits ne sont plus l’expression d’une vérité, qui était certes relative et temporaire, mais deviennent l’objet de toutes les manipulations. D’où l’atomisation de la société actuelle infectée par les fausses informations et fragmentée en communautés de plus en plus hostiles puisque de moins en moins connectées entre elles. A l’affrontement succède la répulsion.

Sans débat pas d’intelligence

Sans débat, il n’y a plus d’intelligence au sens premier du terme, c’est-à-dire la faculté de relier les choses entre elles. Sans intelligence, nous ne pourrons pas affronter les défis terriblement complexes engendrés par la transition climatique et l’accroissement des inégalités. Nous perdons temps et énergie à nier les évidences et à passer cette colère qui ne peut plus dire son nom sur les autres tribus. Le mur s’approche à grande vitesse. Le seul réflexe du conducteur, c’est de klaxonner pour chasser ce mur. C’est la politique actuelle des mouvements brutalistes.

Dès lors, si l’on veut briser ces carcans communautaires, il faudra réapprendre le premier geste qui sauve: la politesse qui consiste avant tout à prendre en considération ceux qui ne me ressemblent pas. Dès que je prends en considération, je réinstalle le débat, l’ennemi redevient un adversaire.

La politesse, donc, mais pas la courtoise, affaire de courtisans, comme son nom l’indique, et donc de lèche-Berluti. La politesse élève l’humain. La courtoisie la rabaisse avec ses courbettes en rafale.

La politesse ne s’apprend pas qu’à l’école. C’est donc les parents qu’il va falloir persuader de devenir polis en tentant de les extirper de leur sphère où règnent les imprécateurs. Mais la tâche s’annonce rude. Et si les enfants, dûment formés, éduquaient leurs parents, comme ils sont en train de les initier au tri des déchets ? «Papa, tu ne dois pas dire merde à table! Compris ? »  Tant qu’il y a de la jeune vie, il y a de l’espoir.

Jean-Noël Cuénod 

[1]J’applique la vieille règle de proximité en vigueur avant le XVIIe siècle qui a vu le masculin l’emporter sur le féminin en grammaire, comme ailleurs.

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