Clin d’œil du Christ au pays de Staline

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Pleine de surprises, l’exposition Rouge qui se déroule à Paris au Grand Palais jusqu’au 1erjuillet…Tout d’abord, parmi les 400 œuvres évoquant la production artistique de l’Union soviétique de 1917 à 1953, la plupart n’ont jamais été présentées en France. Ensuite, le regardeur peut y surprendre un artiste prolétarien en flagrant délit de commettre un sacré lapsus. Et même un lapsus sacré.

La preuve en est administrée par Ousto Moumine alias Alexandre Nikolaev, l’auteur de l’affiche (ci-dessus) destinée aux paysans de l’Asie centrale[1]de la jeune URSS en 1933. Ancien élève de Kazimir Malevitch à Moscou, Nikolaev fut envoyé par le pouvoir bolchévique en Asie centrale, notamment à Tachkent, dès 1922.

A première vue, il s’agit de l’une de ces nombreuses affiches dont l’URSS avait parsemé son vaste territoire, souvent marqué par l’analphabétisme. Mais regardons d’un peu plus près. Remarquez la tête du paysan qui figure au centre de la roue du tracteur placé au second plan. Ne dirait-on pas qu’elle est nimbée d’une auréole ? La ressemblance avec une icône russe de Jésus-Christ est tout de même troublante (photomontage JNC ci-dessous) !

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En pleine campagne pour l’athéisme officiel, quatre ans après que Staline a définitivement assis sa dictature, voilà qui était audacieux, pour le moins ! Quelle mouche christique a-t-elle piqué Alexandre Nikolaev ? Vraisemblablement, elle est née du hasard de la composition du tableau. Cela dit, à cette époque où la répression commençait à s’abattre sur les artistes, une telle étourderie aurait pu valoir de très sérieux ennuis à son auteur. Heureusement, il ne s’est trouvé aucun tchékiste pour distinguer l’icône dissimulée dans l’affiche de propagande. 

« Le hasard, c’est peut-être le pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer », disait Théophile Gautier. L’auréole tractoriste du paysan serait-elle alors le clin d’œil du Christ au pays des Soviets ? On peut aussi supposer le surgissement inconscient de vieilles réminiscences religieuses remontant à l’enfance d’Alexandre, né le 30 août 1897 à Voronej dans une Russie encore illuminée d’icônes. 

En tout cas, l’hypothèse d’un acte délibéré est peu probable, tout d’abord pour d’évidentes raisons de sécurité, ensuite parce que depuis 1922 Alexandre Nikolaev se serait converti à l’islam. Le catalogue de l’exposition au Grand Palais mentionne cette conversion musulmane comme étant certaine. Mais une autre source (le site de vente d’art https://direct-estimations.com)la qualifie de « légende », aucun document officiel ne l’attestant. Cela dit, les élèves d’Alexandre Nikolaev lui ont donné comme surnom Ousto Moumin qui signifie en ouzbek, selon les traductions « maître de la foi » ou alors « maître fidèle et doux ». En adoptant ce surnom pour en faire son pseudonyme, Nikolaev, a signifié, pour le moins, son intérêt envers la culture musulmane.

Toutefois, ce n’est pas pour des raisons religieuses, ni pour son affiche « blasphématoire » que Moumin-Nikolaev fut arrêté en 1938 à Moscou alors qu’il dirigeait le pavillon ouzbek de l’exposition de l’Union agricole. Le catalogue de l’expo parisienne affirme qu’il a été condamné à trois ans de prison pour « participation à une organisation terroriste contre-révolutionnaire ». Le site « direct-estimations.com » donne une version bien différente, sur ce point également : la peine prononcée contre le peintre fut de quatre ans d’emprisonnement avec pour motif l’homosexualité de l’artiste. Pendant son incarcération, le condamné s’est vu interdire de peindre. 

Une chose au moins est certaine, Moumin alias Nikolaev a été libéré en 1942 où il a pu rejoindre aussitôt l’Ouzbékistan, sa patrie d’adoption. Il y a poursuivi sa carrière d’illustrateur et de concepteur de théâtre jusqu’à sa mort le 27 juin 1957 à Tachkent.

Et voilà un détail capté sur une affiche qui nous fait voyager dans le temps et l’espace, tout en nous montrant à quel point les symboles religieux persistent dans la mémoire des hommes.

Jean-Noël Cuénod


[1]Traduction figurant dans la documentation de l’expo : « Mais à présent même les aveugles devraient voir que le secteur agricole, même lorsque nous aurons mécanisé les kolkhozes à 100%, ne saurait se passer du cheval ».

1 réflexion sur « Clin d’œil du Christ au pays de Staline »

  1. Cher Jean-Noël, il y a un autre symbole de la chrétienté dans cette affiche : regarde attentivement le poitrail du petit cheval blanc, devant un cheval noir, en bas de l’affiche, entre les jambes arrière du grand cheval : on y vois clairement une crucifixion.

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