Voilà un référendum qui passe quasi-inaperçu en France métropolitaine. Pourtant, il est d’importance cruciale. Et pas seulement pour Paris ! Dimanche 4 novembre prochain, 175 000 électrices et électeurs de la Nouvelle-Calédonie décideront si leur archipel du Pacifique restera dans le giron français, avec son statut particulier, ou s’il accédera à l’indépendance et à la pleine souveraineté. Avec en toile de fond, un puissant voisin, la Chine et une richesse naturelle, le nickel qui intéresse aussi… la Suisse.
Analyste en relations internationales et consultant chez Vae Solis Corporate à Paris, Bastien Vandendyck connaît bien la Nouvelle-Calédonie ; il y a vécu et gardé de nombreuses attaches. Il est, notamment, l’auteur d’une fort intéressante étude sur le processus d’indépendance de cet archipel[1]. Il s’étonne de ce manque d’intérêt : « L’enjeu géopolitique de ce référendum est majeur, dans la mesure où il se déroule dans une région du monde qui est désormais le lieu d’affrontement stratégique direct entre les deux géants, la Chine et les Etats-Unis. Une région aux équilibres très fragiles ».
Enjeu crucial pour la France, tout d’abord. Notre voisin possède le domaine maritime le plus important du monde, juste après celui des Etats-Unis. Or, 13% de la Zone Economique Exclusive (ZEE) – l’espace maritime où s’exerce la souveraineté d’un Etat – de la France est situé au large de la Nouvelle-Calédonie. Selon Bastien Vandendyck, l’archipel est aussi le premier port militaire français dans le Pacifique[2].
Avec la perte d’un atout maître de sa Marine nationale et 13% de ZEE en moins, l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ne sera donc pas indolore pour Paris, ni même pour Bruxelles, l’Union européenne perdant ainsi, avec la France, sa seule tête de pont dans ce Pacifique devenu le centre de la mondialisation.
Enjeu pour la Suisse
Enjeu important aussi pour la Suisse, car les intérêts helvétiques sont loin d’être anecdotiques en Nouvelle-Calédonie. Ils sont présents dans ce qui constitue la grande richesse de l’archipel : le nickel. En effet, le groupe anglo-suisse Glencore, basé à Baar (Zoug), est l’un des principaux acteurs du complexe industriel de Koniambo Nickel (photo) présenté comme l’Eldorado minier de la province Nord en Nouvelle-Calédonie. Glencore est l’associé minoritaire de la SMSP (Société Minière du Sud Pacifique) qui est en main des indépendantistes kanaks (lire le glossaire). Son PDG André Dang Van Nha, d’origine vietnamienne, n’a jamais caché ses sympathies indépendantistes. En cas d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, la multinationale suisse serait donc bien placée. Toutefois, la victoire du « non » ne lui porterait pas pour autant préjudice.
Le groupe zougois – spécialisé dans le courtage, le négoce et l’extraction des matières premières – a investi 504 millions d’euros (576 millions de francs) dans la construction de Koniambo Nickel qui se révèle être l’un des sites miniers les plus prometteurs de la planète ; son nickel, de très bonne qualité, est particulièrement recherché, notamment par la gloutonne industrie chinoise.
La Chine reste dans les préoccupations, mais aussi les espoirs, de tous les acteurs politiques et économiques. En cas d’indépendance, l’archipel ne tomberait-il pas dans l’orbite de la Chine ? Bastien Vandendyck note que la deuxième puissance mondiale tient déjà un rôle prépondérant dans nombre d’îles du Pacifique dont le Vanuatu. Face à ce géant que pèserait la Nouvelle-Calédonie indépendante ? Dans ses discours, le leader indépendantiste Rock Wamyatan déclare compter sur une organisation régionale regroupant toutes les îles mélanésiennes pour entamer directement des pourparlers avec Pékin. Sera-ce suffisant pour défendre les intérêts de l’archipel face au géant asiatique ?
Après la votation, le sort de la Nouvelle-Calédonie restera incertain
Ce référendum est prévu par les accords de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998) conclus entre le gouvernement français, les dirigeants indépendantistes et anti-indépendantistes à la suite du massacre de la Grotte d’Ouvéa, une prise d’otages qui a mal tourné, causant la mort de 21 personnes.
D’ores et déjà, la Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un régime tout à fait particulier et qui relèverait plutôt d’une forme de fédéralisme. Le poids des coutumes kanaks rend encore plus complexes les relations entre l’archipel et la métropole. La Nouvelle-Calédonie dispose d’un gouvernement, d’un parlement et même d’un Sénat coutumier. Fait unique dans le système centralisé français, il est reconnu une citoyenneté néocalédonienne – apte au droit de vote sur l’archipel – distincte de la citoyenneté française.
La constitution du corps électoral s’apparente à un casse-tête que l’on n’oserait qualifier de chinois. Les Kanaks (lire le glossaire) veulent éviter d’être électoralement submergés par des néocalédoniens d’origine européenne. Une liste électorale spéciale a été élaborée d’entente entre le gouvernement français, les responsables indépendantistes et anti-indépendantistes. Pour ceux qui ne sont pas nés sur sol néocalédonien, qu’ils soient ou non kanaks, elle se réduit aux électeurs remplissant les conditions pour être inscrits sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie qui furent établies à l’occasion de la consultation populaire du8 novembre 1998 portant sur l’approbation de l’accord de Nouméa. Le corps électoral, pour la votation du 4 novembre de cette année, est donc fixé à environ 175.000 personnes.
Vers un « non », mais…
Quelles sont les tendances à quelques encablures de la consultation ? Selon Bastien Vandendyck, « les sondages et les rapports de force politiques au sein des trois Provinces –Iles Loyauté, Nord et Sud, la plus importante avec la capitale Nouméa – inclinent vers un rejet de l’indépendance, avec des rapports 57%-43%, voire 65%-35%. Toutefois, il faut se méfier de ces estimations. D’ordinaire, les Kanaks, notamment les jeunes, sont peu nombreux à voter. Mais pour un enjeu de cette ampleur, ils vont peut-être se mobiliser, ce qui renforcerait le camp du « oui » à l’indépendance ».
Si le « non » l’emporte tout ne sera pas terminé pour autant, loin de là. Les accords de Matignon et Nouméa prévoient la possibilité de deux autres référenda, sans limite dans le temps, à la condition que les deux tiers du Congrès (parlement néocalédonien) en fasse la demande au Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative de la France.
Et si le « oui » triomphe, il restera aux nouvel Etat à déterminer la façon dont il veut tisser des liens avec la France et l’Europe. Et avec la Chine
Nouvelle-Calédonie: un glossaire
– Néocalédoniens.Dénomination englobant tous les habitants de la Nouvelle-Calédonie.
– Kanaks. Nom porté par les descendants des populations autochtones mélanésiennes
– Caldoches.Désigne les Néocalédoniens de souche européenne, souvent descendants des colons français au XIXe siècle.
– Zoreilles.Surnom donné aux Français venant de la métropole.
La Nouvelle-Calédonie compte 268.767 habitants pour une superficie de 18.575,5 km2.
Les habitants de la Nouvelle-Calédonie se sont constitués par couche au gré des occupations du territoire, comme l’indique Pierre Brétignier, homme politique de l’archipel, ancien dirigeant du RPCR anti-indépendantiste[3].
L’appartenance à l’une de ces couches détermine souvent le vote pour ou contre l’indépendance de l’archipel. Ainsi, les Kanaks sont-ils plus enclins à voter pour la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, contrairement aux Caldoches qui sont considérés par les premiers comme les descendants d’une colonie de peuplement.
Jean-Noël Cuénod
Cet article est paru mercredi 31 octobre 2018 dans la « Tribune de Genève » et « 24 Heures »
[1]« Les enjeux du processus d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ». Institut des relations internationales et stratégiques
[2]Les Forces armées en Nouvelle-Calédonie représentent environ 1800 personnes. Contre 1000 pour celles basées en Polynésie française.
[3]Auteur de «Les Enjeux politiques en Nouvelle-Calédonie» chez L’Harmattan.