Comme ministre de la Justice François Bayrou présente ce mercredi sa loi sur la moralisation de la vie publique. Et comme président du MoDem, le voilà embarqué dans une vilaine affaire de financement de son parti qui aurait bénéficié d’emplois fictifs payés par le Parlement européen.
Un ministre de la justice qui veut moraliser la vie politique alors que le parti qu’il dirige fait l’objet d’une enquête du Parquet de Paris pour «abus de confiance et recel de ce délit», cela ne vous rappelle pas quelque chose? Cherchez bien! Jérôme Cahuzac, voooiiilà! Le ministre délégué au Budget chargé de lutter contre la fraude fiscale alors qu’il avait planqué son trésor en Suisse, puis lorsque les lois helvétiques ont changé, à Singapour.«Ce sont deux affaires d’intensité dolosive fort différente», couineront les communicants, petit doigt levé en tenant l’anse de leur tasse de Darjeeling. Pour le citoyen sirotant son pastaga sur le zinc, ce sera bonnet sale et sale bonnet : Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais. Et si vous faites ce que je fais, vous êtes faits!»
«Et la présomption d’innocence, vous vous asseyez dessus, c’est ça?» glapiront ces mêmes communicants. Bayrou et son MoDem seront peut-être innocentés. Ou peut-être pas. Il n’empêche que le ministre de la Justice n’est pas un justiciable comme les autres puisque le Parquet chargé d’enquêter sur lui dépend de son ministère qui reçoit des Parquets généraux les notes de synthèse des dossiers sensibles politiquement. Dans un tel cas de figure, une seule solution s’impose : démissionner. Ce ne serait que pure décence. Billevesées et calembredaines!
Les naïfs auraient pu penser qu’avec un président tout neuf, porté par une vague rafraichissante vouée à balayer les vieux débris de la scène politique, un tel cynisme n’aurait plus cours. C’était sans compter sur la persistance d’habitudes tellement ancrées chez les politiciens français que, sûrs de leur impunité, ils n’ont même pas conscience du caractère choquant de leur comportement.
De plus, l’ego-montgolfière de Bayrou, déjà fort élevé en altitude, atteint des couches stratosphériques depuis qu’il a été nommé par le président Macron «Ministre d’Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice ». Ainsi, a-t-il téléphoné à Jacques Monin, directeur de la cellule investigations de Radio France, pour protester contre ses journalistes qui avaient eu l’idée incongrue d’enquêter sur les soupçons d’emplois fictifs du MoDem. François Bayrou s’est fait publiquement remettre à l’ordre par le premier ministre Edouard Philippe. Sèche réplique du rebelle qui rétorque : «Je ne sais pas vivre sans liberté de parole». Dans ce cas, il ne faut pas faire ministre et encore moins ministre de la Justice. Sa parole n’engage pas que lui mais son ministère, les magistrats de l’Ordre judiciaire, les justiciables et son pays.
Qu’il la reprenne, sa liberté. En quittant le gouvernement.
Le nouveau président de la République n’aura sans doute pas besoin du MoDem pour disposer de la majorité absolue. Dès lors, si Bayrou continue à être aussi encombrant, nul doute que l’Elysée l’éjectera sans pitié. Après avoir pulvérisé le Parti socialiste, assommé le Front national, démoli Les Républicains, Emmanuel Macron peut fort bien continuer en rejetant le MoDem dans les limbes. Il n’y aurait alors pas foule entre lui et Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Noël Cuénod