Donald Trump a donc remis ses taxes douanières sur son tapis de poker. Un jour, je te taxe. Un autre, je ne taxe plus. Un troisième, je te retaxe. Mais le tango du Roi de l’Immobilier a perdu de sa cadence. Et aux Etats-Unis, même dans le camp des conservateurs, les taxes douanières de Moumoute Jaune décoiffent.
Lorsqu’il a annoncé son Liberation Day en avril dernier avec une volée d’annonces extravagantes, Donald Trump avait provoqué une tempête monétaire qui risquait d’engloutir son propre pays. D’où un premier rétropédalage: « Calmez-vous, les gars, je veux simplement vous forcer à signer des accords avec moi pour diminuer voire supprimer le déficit commercial des Etats-Unis ». Et la Maison-Blanche de fixer le 1er août comme date-butoir.
Bourses européennes: même pas mal!
Aujourd’hui, sa nouvelle salve d’annonces-menaces de samedi dernier – les exportations de l’Union européenne taxées à 30% aux Etats-Unis – n’impressionne plus.
Les bourses européennes n’ont guère été perturbées: Paris a perdu 0,27% et Francfort 0,39%. Quant à la Suisse – qui vit sous la menace d’une taxe de 31% et qui négocie actuellement avec Trump –, son index boursier SMI ouvrait avec une légère hausse de 0,13%.
Conclusion: Donald Trump se veut tellement imprévisible qu’il en devient prévisible.
Quelque chose comme de l’enfumage…
De plus, sa pêche aux accords n’a pas ramené de gros poissons. Pour l’instant, seuls quatre pays ont signé quelque chose. Reste à savoir si ce « quelque chose » représente autre chose que de l’enfumage. –– Pékin n’a pas plié face à Washington qui a dû consentir à une trêve de nonante jours dans la guerre fiscale que Trump avait engagée contre Xi.
— L’accord avec la Grande-Bretagne tient en treize pages de promesses floues.
— Mardi, Le président étatsuniens annonce un accord avec le Vietnam. En quoi consiste-t-il? Aux questions posées par la presse, Trump s’est contenté de répondre qu’il pourrait en révéler les détails mais qu’il estimait que « cela n’était pas nécessaire ». Réponse qui rappelle le sketch de Francis Blanche et Pierre Dac: « Pouvez-vous le faire? Oui je le peux. Il peut le faire! Mesdames et Messieurs applaudissez-le bien fort! »
— Le plus intéressant pour le président étatsunien semble celui qu’il vient de conclure avec l’Indonésie: les marchandises de ce pays entrant aux Etats-Unis seront taxées à 19% (et non à 32% comme envisagé par Donald-La-Menace) alors que les produits étatsuniens ne seront pas taxés en Indonésie. Trump fanfaronne que l’Indonésie achètera 50 avions chez Boeing, information non confirmée par le président indonésien Probowo Subianto.
Les libertariens s’arrachent les cheveux
Dans la foulée de leur gourou Elon Musk, nombre de libertariens avaient soutenu voire financé la campagne présidentielle de Trump II. Ces libertariens trumpistes semblent maintenant un peu gêné aux entournures, non seulement parce que Musk est devenu trumpophobe mais surtout, ils n’ont cessé et ne cessent de militer contre les impôts et les taxes. Tel Walter E. Block, fondateur du groupe Libertarians for Trump qui s’emberlificote ainsi sur le site LewRockwell.com :
Il existe en effet certaines preuves que le président Trump mène ses guerres tarifaires dans le but ultime d’instaurer un régime de libre-échange pur. Il l’a d’ailleurs dit lui-même. Cependant, il existe également de solides preuves du contraire.
Les groupes de réflexion libertariens influents, comme le Cato Institute – qui n’avait pas soutenu la campagne électorale de Trump – se montrent nettement moins timides.
Avec le groupe juridique conservateur-libertarien New Civil Liberties Alliance (NCLA), le Cato Institute réclame des juges du Federal Circuit – équivalent d’une Cour d’appel fédérale – qu’ils rejettent les taxes douanières envisagées par le président étatsunien. Principal argument: « La Constitution confère le pouvoir d’imposer des tarifs au Congrès et à lui seul ».
Responsable du Centre de politique commerciale du Cato Institute, le libertarien Scott Lincicome a tiré quelques missiles contre la politique des taxes douanières trumpistes qu’il juge « économiquement ignorante, géopolitiquement dangereuse et politiquement dévoyée, » selon une note qu’il a envoyée au site Cafe Hayek.
Trump contesté par son ancien vice-président
Parmi les mémoires d’avocats déposés contre les droits de douane auprès du Federal Circuit, on trouve celui d’une autre organisation conservatrice, l’Advancing American Freedom fondée par un certain Mike Pence qui fut le… vice-président de Donald Trump durant son dernier mandat!
Actuellement, les droits de douane pratiqués par les Etats-Unis sont en général de 10% (avec des exceptions) avant d’être augmentés fortement le 1er août si Trump ne rétropédale pas une fois de plus. Le président claironne que d’ores et déjà, ces taxes ont rapporté des centaines de milliards de dollars. Plus modestement, son Département du Trésor annonce qu’elles ont permis à Washington de dégager un excédent budgétaire de 27 milliards de dollars en juin.
L’impôt sur le revenu remplacé par les taxes douanières?
Dès lors, Donald Trump chercherait-il à remplacer petit à petit l’impôt sur le revenu par les droits de douane? Certains l’espèrent mais d’autres en doutent fort, même dans son propre camp.
Parmi les ténors républicains qui se montrent pour le moins circonspects sur ce remplacement progressif de l’impôt sur le revenu par les droits de douane, figure le sénateur du Wisconsin Ron Johnson sur le site Breitbart. Pourtant, cet élu très conservateur avait finalement voté le 1er juillet dernier – non sans réticences – le budget de Trump (Beautiful Big Bill) sur la vive insistance du vice-président Vance.
Les recettes créées par l’impôt sur le revenu des particuliers est tellement élevé – 2 426,1 milliards de dollars en 2024, selon les chiffres du Trésor étatsunien – qu’il représente 49% du total des recettes fiscales fédérales. On imagine mal comment des droits de douane, forcément fluctuant selon les conjonctures économiques des pays exportateurs, pourraient remplacer, même très progressivement, l’impôt sur le revenu.
Donald Trump commence à fatiguer beaucoup de monde dans son pays. Y compris au sein de la droite conservatrice et des libertariens. Ce qui est encore plus inquiétant pour le président que l’opposition du Parti démocrate qui traîne encore sa gueule de bois post-électorale.
Jean-Noël Cuénod