Hiroshima-Nagasaki: 80 ans de voyage au bout de la nuit humaine

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« Sang Soleil » ©JNC_Beaurecueil-Forge de la Poésie.

6 août 1945: Hiroshima. 9 août 1945: Nagasaki. A peine a-t-il succédé à Roosevelt, que le nouveau président étatsunien Truman décide d’utiliser à deux reprises la bombe atomique contre le Japon. Sa dimension cataclysmique aurait dû nous faire réfléchir quant à la maîtrise de la force. Peine perdue. Une petite pensée cependant au vice-amiral Arkhipov qui, lui, a évité de justesse la catastrophe.

Tout a été dit sur les raisons qui ont présidé au choix d’Harry S. Truman, non sans versions parfois contradictoires. Rappelons tout d’abord, que lorsqu’il était le vice-président de Franklin D. Roosevelt, Truman ignorait tout du « projet Manhattan » qui a élaboré la première bombe A. Il n’en a pris connaissance qu’au moment du décès de son prédécesseur, lorsqu’il l’a remplacé à la Maison-Blanche, soit en avril 1945.

Au moment où Truman devait participer à la conférence de Potsdam (1), en juillet 1945, a-t-il pu prendre vraiment conscience des conséquences de l’emploi d’un tel engin? Le nouveau président a dû ingurgiter en peu de temps des notions géostratégiques diablement complexes que ses charges de sénateur du Missouri, puis de vice-président des Etats-Unis pendant moins de trois mois, n’avaient guère préparé. N’a-t-il vu dans la bombe A qu’un engin militaire simplement plus gros que les autres?

Bonnes ou mauvaises raisons

Les explications les plus courantes pour expliquer le choix d’utiliser la première bombe atomique sont bien connues:

– contraindre le Japon à capituler en évitant un débarquement qui aurait coûté la vie de nombreux soldats étatsuniens;

– éviter que les Soviétiques, qui venaient de déclarer la guerre au Japon, ne débarquent en premier sur sol nippon;

– donner un signal à Staline pour le rendre prudent quant à sa volonté d’expansion en Europe.

Bonnes ou mauvaises, ces raisons? En tout cas plausibles. Voilà pour expliquer le déchaînement du feu nucléaire sur Hiroshima. Mais pourquoi, trois jours après ce massacre historique, avoir réitéré sur Nagasaki?

L’argument de la méconnaissance des dégâts spécifiques causés par la bombe atomique ne tient plus concernant cette seconde « cible ».

L’une des explications est relative à l’entêtement du Japon qui cherchait à conclure un accord pour éviter la capitulation sans condition exigée par les Alliés. Cette capitulation est intervenue le 15 août 1945, soit moins d’une semaine après Nagasaki. Mais d’autres hypothèses supputent que, de toute façon, Nagasaki ou pas, le Japon allait capituler.

Nagasaki: un essai?

Une hypothèse particulièrement cynique souligne que la bombe A qui a frappé Nagasaki était composée de plutonium alors que celle larguée sur Hiroshima était alimentée par de l’uranium. De là à conjecturer qu’il s’agissait d’examiner les différences de résultats entre ces deux engins, le pas est vite franchi.

En tout cas, avec Nagasaki – encore plus qu’avec Hiroshima – l’humain a accompli un pas décisif vers sa faillite morale. On savait. Et on a fait quand même.

« A Nagasaki, ce n’est pas l’homme qui est mort, c’est l’idée même de l’homme ». Cette citation est attribuée à l’auteur de L’obsolescence de l’homme le philosophe Günther Anders.

Pour tenter de tolérer l’intolérable, l’argument de l’équilibre de la terreur est le plus souvent avancé. La peur de la bombe A aurait évité une troisième guerre mondiale.

La forme plus ou moins « froide » de la guerre

Or, cette troisième guerre a bien eu lieu sous le nom de « guerre froide » qui s’est mainte fois réchauffée au fer incandescent. Car les conflits n’ont cessé d’ensanglanter la planète malgré l’épouvantail nucléaire.

 Les instituts norvégien PRIO (Institut de recherche sur la paix à Oslo) et suédois UCPC (Université d’Uppsala) ont dénombré pas moins de 250 conflits armés distincts dans le monde, entre 1946 et 2024, causant très approximativement entre 20 et 30 millions de morts, sans compter les décès indirectement provoqués par ces guerres. Année record: 2024 avec 61 conflits faisant à peu près 823 000 morts. On n’ose imaginer le résultat pour cette année…

Certes, rétorquera-t-on, les conflits avec des armes conventionnelles n’ont pas pu être évités mais au moins l’équilibre de la terreur a-t-il dissuadé les uns et les autres de recourir aux armes nucléaires.

Force est de reconnaître qu’après Nagasaki, la bombe A est restée au hangar.

Mais jusqu’à quand? Depuis 1946, le nombre de pays disposant d’un arsenal nucléaire a progressé. Aujourd’hui neuf Etats en sont dotés: les Etats-Unis, la Russie, la France, la Chine, la Grande-Bretagne, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël. Jusqu’à la toute récente « guerre des 12-Jours », l’Iran était proche d’être le dixième membre du club atomique.

Le feu nucléaire évité de justesse en 1962

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Espérons qu’il existe encore dans la flotte de guerre russe des officiers de la trempe de Vasili Arkhipov, futur vice-amiral ©Wikimédia Commons

Si l’on possède une arme, un jour ou l’autre, on s’en servira. Sans compter les erreurs commises dans la chaîne de commandement. Ainsi, ce fameux « équilibre de la terreur » a bien failli être… déséquilibré, le 27 octobre 1962, en pleine crise des missiles de Cuba entre l’URSS et les Etats-Unis.

Ce jour-là, équipé d’une torpille nucléaire d’environ 15 kilotonnes, le sous-marin soviétique B-59 croise au large de Cuba. Des bâtiments de l’US Navy ainsi que des avions militaires étatsuniens le repèrent et lui lancent des grenades sous-marines de signalisation, donc non mortelles, pour lui ordonner de faire surface.

Persuadé que le B-59 qu’il commande était attaqué, le capitaine Valentin Savitsky veut donner l’ordre de lancer la torpille nucléaire contre les bâtiments étatsuniens. Impossible, pour le capitaine, de demander l’avis de ses supérieurs, les communications sont coupées.

Il en est persuadé: il faut déclencher la torpille nucléaire. Mais pour rendre son ordre effectif, le capitaine doit suivre le protocole des sous-mariniers soviétiques qui prévoit que cette décision doit être prise à l’unanimité par trois officiers supérieurs, à savoir, outre lui-même, le commissaire politique Vadim Orlov et l’officier en chef de la flottille Vasili Arkhipov.

Un seul d’entre eux s’y oppose, empêchant ainsi le lancement de la torpille nucléaire: l’officier Arkhipov. Il n’est pas convaincu du caractère agressif de l’envoi de grenades par la flotte des Etats-Unis. Le B-59 fait surface et reçoit l’ordre de Moscou de rentrer à la maison.

Si Vasili Arkhipov avait donné son aval, la torpille nucléaire aurait détruit un bâtiment étatsunien. Le caractère nucléaire de l’arme utilisée aurait entraîné une frappe atomique des Etats-Unis sur Cuba ou sur l’URSS déclenchant ainsi la troisième guerre mondiale, « très chaude », cette fois-ci!

Force dans la matière, force dans le mental

La force est au centre de tout rapport humain, pour le meilleur, rarement, et le pire, le plus souvent. Il a fallu des générations de génies scientifiques pour utiliser la force colossale recelée au cœur de la matière. Mais quand il s’agit de se gouverner, les humains demeurent incapables de la maîtriser, cette force. Dominer l’énergie de la matière, c’est une chose; maîtriser celle du mental, en est une autre encore plus malaisée à obtenir.

Ce n’est pas pour des prunes que l’on parle à tout va de ces « rapports de force » qui interviennent partout, en politique, en économie, en société. Contre les garde-fous installés par l’Etat, la loi du plus fort, parfois du plus fou, cherche systématiquement à s’imposer.

Aujourd’hui, plus que jamais, la force brutale sans cesse progresse.

Le trio maléfique et la caste prédatrice

La Prédation Systémique et Systématique est symbolisée par un trio dépourvu de la moindre parcelle de scrupule: Xi, Poutine et Trump, figures visibles d’une caste prédatrice d’aspects différents selon les empires chinois, russe et étatsunien, mais réunies dans le même esprit de conquête par la force pour assouvir l’inextinguible soif du « toujours-plus ».

Comme il y avait jadis, l’art pour l’art, apparaît aujourd’hui la prédation pour la prédation.

Chacune et chacun sur cette planète est conscient des dégâts provoqués par  ce processus de la violence.

Chacune et chacun est convaincu qu’il faut l’enrayer. Chacune et chacun constate que rien n’est sérieusement entrepris pour l’éradiquer.

La raison reste muette

Dans un autre livre, La violence: oui ou non – Une discussion nécessaire (Editions Fario), Günther Anders souligne l’inefficacité de la raison:

Seuls les exaltés surestiment la force de la raison. La première chose qui incombe au rationalisme, c’est de ne se faire aucune illusion sur la force de la raison, sur sa force de conviction. C’est pour cela que j’aboutis toujours à la même conclusion : la non-violence ne vaut rien contre la violence.

Si, à en croire Anders, la raison ne peut rien contre la logique de la violence inscrite dans la force, alors que faire? Sommes-nous condamnés à répéter indéfiniment les mêmes erreurs, les mêmes horreurs (les mêmes… ou en pire!), à les subir, puis la violence étant épuisée d’elle-même, à jurer que, cette fois-ci, nous ferons tout pour ne pas recommencer? Promesse d’ivrogne, bien sûr. Nous retournerons à la violence comme le drogué à sa seringue.

Le rêve d’une grève générale du genre humain

Puisque la raison est impuissante, tentons l’irrationnel. Rêvons à un immense, massif, retrait des humains de toutes les activités qui amènent la caste prédatrice à disposer de la force: activités économiques, sociales, politiques, militaires, bref de tout ce qui a une odeur de pouvoir.

Une sorte de grève générale du genre humain pour vider de sa substance cette force utilisée par la caste prédatrice.

Puisque l’immanence nous conduit à la ruine, tentons la transcendance. On l’avait bien oubliée, celle-là. Elle peut encore servir de bouée de sauvetage. Face à la force créatrice de l’univers, celle manipulée par la caste prédatrice n’est qu’un pâle zéphyr. Apprenons, ou réapprenons, à nous relier à cette puissance de création qui nous dépasse. Appelons-la Dieu, Allah, Conscience Cosmique, Grand Architecte de l’Univers, Puissance éternelle, si cela nous chante. Le nom n’a guère d’importance. C’est ce lien que nous tissons avec l’univers qui importe.

La prière reste l’ultime action quand toutes les autres ont échoué. Cela n’empêchera pas la ruine mais, peut-être, porterons-nous sur elle un regard différent, plus aiguisé, plus lucide pour rebâtir la maison humaine.

1 Réunissant les trois vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale – Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne – la conférence de Potsdam a eu pour objet de fixer le sort des nations vaincues.

Jean-Noël Cuénod

1 réflexion sur « Hiroshima-Nagasaki: 80 ans de voyage au bout de la nuit humaine »

  1. Merci Jean-Noël pour ta réflexion autour de la possible destruction et peut-être de l’anéantissement du genre humain.
    Il est temps de transformer notre conscience afin qu’elle accède à d’autres paramètres de temps et d’espace qui nous deviennent accessibles et que nous connaissons si mal.
    Jésus a passé 40 jours dans le désert et il a été invité à utiliser sa force et son pouvoir…En y renonçant il a rendu accessible d’autres possibles…
    Peut-être allons-nous revivre cela, autrement ou la même chose ?

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