Bzzz…mais pas n’importe quel bzzz. Celui d’une mouche, certes, mais pas n’importe laquelle. C’est le bourdonnement bien particulier, inimitable, caractéristique de la mouche d’été. Un bzzz qui renvoie aux grandes vacances de l’enfance. En 1914, en 1939 aussi, les mouches de l’été bourdonnaient aux oreilles en congé. Aujourd’hui, elles reviennent parmi nous. L’été est aussi précoce que féroce.
Les guerres commencent souvent lorsque les hordes humaines ont la tête ailleurs, à la plage, aux corps offerts au soleil, à la montagne aux senteurs de résine brûlée. Un sursis. Un répit. « Encore une minute, Monsieur le Bourreau! ». La minute passe aussi vite que la vie d’une mouche.
Pour qui vrombit-elle la mouche de notre été meurtrier? Le taon est à l’orage, il pique ici, là, ailleurs se gorgeant de notre sang. En Ukraine, en Israël à Gaza et maintenant en Iran.
Quelle mouche nous pique?
Plus l’estival diptère vibrionne, moins on comprend par quelle mouche le monde a-t-il été piqué. Poutine, NétanyHamas, Trump, Khamenei l’ayatollah venimeux? Nous avons le choix entre les hexapodes malfaisants.
La guerre la plus récente entre Israël et l’Iran était programmée depuis longtemps. Le régime des Mollahs promettait régulièrement de détruire « l’entité sioniste », comme si ne pas nommer l’ennemi permettait de le tuer en le reléguant à l’état de chose. Les mots ont un sens: « tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme », écrivait au XVIe siècle le théologien protestant Benjamin Castellion après le brûlement à Genève de Michel Servet.
Détruire l’ « entité sioniste », c’est détruire des Israéliens, un point c’est tout. D’autant plus que les Mollahs se sont donnés les moyens de passer de l’imprécation au crime.
La mollarchie nucléaire
Selon son rapport diffusé le 26 février dernier, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à Vienne, a annoncé que l’Iran peut convertir son stock actuel d’uranium enrichi à 60% en uranium hautement enrichi de façon à produire jusqu’à 17 armes atomiques en quelques mois.
La mollarchie, qui terrorise sa propre population, ne tardera donc pas à posséder l’arme nucléaire. Et comme les Mollahs ont annoncé la destruction d’Israël, la réaction de Nétanyahou paraît logique. Cela dit, entre l’enrichissement maximal et la fabrication d’un missile nucléaire utilisable par l’armée, le laps est nettement plus long. Selon Janes – société britannique spécialisée dans l’exploitation de renseignements en sources ouvertes (OSINT) – l’Iran ne dispose pas encore de cette capacité. C’est une chose de disposer de l’uranium hautement enrichi, c’en est une autre de l’installer dans l’ogive idoine.
L’urgence, bien réelle, arguée par le gouvernement israélien paraît donc moins absolue qu’il ne l’affirme.
Le moment du choix
D’autres facteurs expliquent sans doute le moment choisi par Nétanyhou pour déclarer la guerre à l’Iran: la survie de son pouvoir fragilisé par une coalition qui menace de voler en éclat, faire oublier les horreurs de Gaza qui mobilisent les oppositions jusqu’à l’intérieur d’Israël, sans oublier les dispositions actuelles du président étatsunien Trump qui semble tétanisé devant le premier ministre israélien.
Autant agir avant que Donald l’Erratique ne change de lubie.
Quels sont les buts de la guerre?
Que veut Nétanyahou? Empêcher que les Mollahs fanatiques disposent de l’arme atomique? Certes, mais la guerre est-elle la bonne méthode pour y parvenir?
L’Iran est un vaste pays riche en recoins montagneux propices à l’enfouissement des centrifugeuses destinées à l’enrichissement de l’uranium.
De plus, ses scientifiques et techniciens ont acquis au fil des années un savoir nucléaire qui leur permettrait de reconstituer l’appareil de production. Les assassinats ciblés organisés par Israël ont éliminé certains physiciens iraniens les plus en vue. Mais les tuer tous relève de la mission impossible.
Que les attaques israéliennes retardent la fabrication de la bombe A mollarchique, cela semble évident. Qu’elles la suppriment totalement, c’est beaucoup moins certain.
« Le sale boulot » pour le bien du monde libre?
Si Nétanyahou y parvient tout de même, de proscrit mondial qu’il était, le premier ministre deviendrait le sauveur du monde libre. Le chancelier allemand Friedich Merz a traduit ce sentiment par un propos plutôt direct: « C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous ».
Par sa guerre, Nétanyahou vise aussi à faire tomber le pouvoir des Mollahs. L’objectif relève d’un pari souhaitable dans son intention mais hasardeux dans sa réalisation.
Un prince en réserve?
– Soit, les Gardiens de la Révolution (la Waffen SS des Mollahs) sortent tellement affaiblis par les bombardements qu’ils ne parviennent plus à maîtriser l’hostilité de la population qui se soulève contre le pouvoir islamiste.
Mais par qui et par quelles structures le remplacer? Par le prince Reza Pahlavi, le fils du Shah que les Mollahs avaient destitué en 1979? Il recevra sans doute l’appui des pétromonarchies, voire celui des Etats-Unis. Mais un peuple qui se soulève acceptera-t-il le retour à une monarchie?
A contrario, le mouvement insurrectionnel serait-il en mesure de susciter un nouvel Iran, sans retour au passé?
Toutes réponses qui relèvent de la boule de cristal. Force est de reconnaître que les guerres en Irak, en Libye et ailleurs n’ont jamais apporté que le chaos.
Les limites de la guerre aérienne
– Soit, les bombardements de Tsahal montent en intensité et suscite la haine des Iraniens contre Israël, aiguisant leur patriotisme et les soudant à ces Mollahs jusqu’alors impopulaires.
Tsahal possède la maîtrise totale du ciel iranien mais il lui est impossible d’intervenir sur le plan terrestre, compte tenu de l’éloignement géographique.
Sans compter que l’Iran est grand comme trois fois l’Hexagone. Dès lors, comment faire plier le régime s’il est réinstallé dans sa légitimité populaire?
Les requins ne sont pas visionnaires
En engageant la guerre en Iran, Nétanyahou prétend changer le visage du Proche-Orient. Les Etats-Unis de Bush junior visait le même but en faisant sa calamiteuse guerre en Irak. On a vu le résultat.
Nétanyahou est un requin en politique et cherche surtout à se maintenir au pouvoir pour éviter les rudes échéances judiciaires qui l’attendent. Les requins ne font pas forcément les meilleurs visionnaires.
Fuite des cerveaux en Israël
De plus, la société israélienne est aujourd’hui divisée comme rarement elle le fut dans le passé. Le gouvernement israélien doit affronter une situation qui risque de l’affaiblir à moyen terme, comme le relève le site Slate:
Depuis 2023, l’État hébreu enregistre une vague d’émigration sans précédent. Le phénomène, qui touche les classes supérieures et la fraction la plus diplômée de la population, place Israël face à une véritable «fuite des cerveaux».
Or, les « cerveaux » constituent la principale ressource d’Israël. C’est grâce à la matière grise que ce petit pays s’est hissé au rang de puissance militaire majeure et de champion toutes catégories de l’innovation technologique.
A force de vouloir changer le visage du Proche-Orient, Nétanyahou est en train de défigurer celui d’Israël.
Une guerre peut en cacher plusieurs autres
La mouche de l’été guerrier irano-israélien zonzonne sans apporter de réponses. Elle risque surtout de bourdonner sur d’autres théâtres d’opération.
Lorsqu’une guerre commence, elle peut créer ou aggraver d’autres conflits par un effet « domino ». Celle qui sévit entre Israël et l’Iran pénalise la position militaire de l’Ukraine face à l’agresseur russe en faisant monter le prix du pétrole. Tout bénéfice pour Moscou qui voit sa rente énergétique s’accroître lui permettant de financer sa guerre contre Kiyv
Ensuite, si Nétanyahou parvient à embarquer Trump et les Etats-Unis dans sa guerre en Iran, la Chine de Xi serait encline à mettre ses menaces contre Taïwan à exécution. Empêtré en Iran, Trump hésiterait à se lancer vers un second front, lui qui a promis à ses électeurs de renoncer aux aventures militaires hors des Etats-Unis.
La mouche de l’été guerrier revient chaque fois à la charge. Plaf! La voilà écrasée! Mais entendez-vous ce vrombissement si caractéristique? Une autre a pris la place. Les mouches ne meurent jamais. Surtout l’été.
Jean-Noël Cuénod