Sur cette planète, deux chefs d’Etat parlent le bärndütsch.
Aparté destiné aux non-suisses : il s’agit d’un dialecte tudesque, situé entre la laryngite aiguë et le cri de la corneille courroucée, utilisé par les habitants de la majorité germanophone du canton de Berne.
Reprenons : il y a donc deux chefs d’Etat qui causent ce redoutable langage. D’une part, le président de la Confédération helvétique pour l’an 2016, le Bernois Johann Schneider-Ammann, ce qui n’est pas surprenant ; d’autre part, le dictateur de la stalinienne Corée du Nord, Kim Jong-un (dessin: Pierre Dubois), ce qui l’est plus. Si les deux dirigeants se rencontrent un jour, ils n’auront pas besoin d’interprètes : Gruessdi, Kimi, wie geits ? Süper, Johanni, wie drr Chouche im Chuchichaeschtli !
Il faut dire qu’enfant Kim Jong-un a subi le sort que tous les petits Romands redoutent : être dressé dans une école bernoise. Selon Le Matin d’il y a deux ans, il a résidé en Suisse de 1991 à 1998, soit entre l’âge de huit et quinze ans. Son séjour en Helvétie a été entourée par un silence de barbelé ; il était inscrit dans les établissements scolaires sous un nom d’emprunt et chaperonné par de faux « parents » dévoués au véritable paternel, l’alors tyran Kim Jong-il, amoureux de la Suisse et fondu de fondue… Amateur aussi de secret bancaire, puisque le clan Kim aurait planqué près de deux milliards de francs dans nos coffres.
On sait tout de même que Kim Jong-un a fréquenté l’école publique de Steinhölzli à Liebefeld, de 1998 à 2001. Depuis lors, il a poursuivi son périple helvétique dans des établissements secondaires. Peut-être à l’école internationale de Gümlingen. Il y était décrit comme un amateur de basket et de natation, grand fan des films de Jean-Claude van Damme et de voitures sportives. Il faut dire qu’entre un essai nucléaire et une exécution de rival potentiel, son papounet lui avait offert une Mercédès adaptée à sa taille de garçonnet de trois ans.
C’est sur les bancs des classes primaires qu’il a appris le dialecte bernois et l’allemand. Plus tard, il se perfectionnera en anglais et acquerra les rudiments de la langue française.
Depuis Kim Jong-un a fait son chemin en succédant à son père et à son grand-père. Désormais, c’est lui qui a le droit d’exécuter tous ceux qui ne se sont pas courbés assez vite à son passage. Il le fait à coups de canon de DCA, ce qui est beaucoup plus rigolo et plus moderne qu’une banale pendaison.
Tout le monde le sait, le Suprême Joufflu a fêté ses 33 ans en faisant la bombe. La bombe H, en l’occurrence. La plus puissante. Et le voilà qui menace la terre et ses environs de ses foudres mortifères. Un dingue. Mais un dingue thermonucléaire.
Force est de constater que le dressage bernois n’est pas paré de toutes les vertus, contrairement à ce que soutenait mon père, il y a quelques millénaires, en menaçant de m’expédier outre-Sarine à chaque mauvais carnet. La Suisse – qui a donné au monde trois de ses plus grands pédagogues, Johann Heinrich Pestalozzi, Jean-Jacques Rousseau et Jean Piaget – a donc lamentablement échoué à faire du Dodu Irascible un citoyen raisonnable et modéré, prompt au compromis et rompu au respect de la collégialité.
Notre pays ne lui a même pas inoculé ces virus occidentaux qui vous rendent le plus extrémiste des enragées en groupie de Lady Gaga. Et pourtant, la Suisse y était parvenue avec les deux frères ainés qui ont suivi le même parcours bernois (et aussi genevois dans leur cas) que l’Epais Nucléocrate. Ils vivent aujourd’hui à l’étranger, l’un parce qu’il a préféré Disneyland aux casernes coréennes et l’autre parce qu’il a troqué les hymnes martiaux contre le rock anglais.
Espérons qu’à son tour, Kim Jong-un confiera sa future progéniture à l’école bernoise. Afin que cette fois-ci, elle parvienne enfin à fondre la dynastie Kiminelle dans le mol magma du chocolat fondu.
Jean-Noël Cuénod