Hitler élu démocratiquement? La fable et l’engrenage

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Charlie Chaplin dans « Les Temps Modernes »©Wikipédia

Le premier ministre français François Bayrou a récemment répété une sornette qui revient régulièrement dans les réseaux sociaux: Hitler aurait été élu démocratiquement à 90% par les Allemands. Ce score, il ne l’a jamais atteint lors d’élections libres. Mais la façon dont il s’est installé dans le paysage démocratique a de quoi éclairer aussi notre présent.

Après le lamentable échec de son putsch à Munich, les 8 et 9 novembre 1923, Adolf Hitler change de tactique et décider de jouer – en apparence – ce jeu démocratique qu’il honnit dans son indigeste bouquin, Mein Kampf. Tout d’abord, groupusculaire, son parti NSDAP a progressivement engrangé des suffrage. Après la crise de 1929, il fait concurrence active aux deux grands partis de la gauche allemande, le SPD (social-démocrate) et le KPD (communiste). Dès lors, la marche des nazis vers le pouvoir enclenche la vitesse supérieure.

14 septembre 1930, élections législatives

Le SPD arrive en tête mais les nazis – avec 18% – devancent les communistes et font leur première grande percée.

10 avril 1932, élection présidentielle

Le vieux maréchal Hindenburg – soutenu par la droite conservatrice – l’emporte au second tour avec 53% des voix, grâce à l’apport des voix du SPD, les communistes ayant maintenu leur candidat Ernst Thälmann (10% des voix) au deuxième tour. Hitler obtient 36%. C’est le seul score qu’il obtenu en confrontation directe et personnelle dans une élection libre de ce niveau.

6 novembre 1932 élections législatives

Les nazis l’emportent avec 33% des voix. Mais les autres partis, notamment le SPD et le KPD le talonnent.

30 janvier 1933

Les nazis manoeuvrent pour rendre le Reichstag ingouvernable. Ne pouvant pas former de majorité, le président Hindenburg, très réticent vis-à-vis de Hitler, le nomme tout de même Chancelier en tentant de l’encadrer par des ministres des partis de droite, notamment les catholiques du Zentrum qui se font fort de maîtriser ce petit caporal.

Nuit du 27 au 28 février 1933, incendie du Reichstag

Hitler en profite pour obtenir aussitôt du président Hindenburg des décrets supprimant les libertés publiques et toutes les garanties constitutionnelles. La liberté de la presse est notamment abolie. Tous les moyens d’informations et les vecteurs de la culture sont concentrées dans les seules mains du Ministère de la propagande et de l’éducation du peuple (Reichspropaganda ministerium) dirigé par Herr Doktor Joseph Goebbels

5 mars 1933, élections législatives

Les nazis triomphent avec près de 44% des voix. C’est leur plus gros score en élections libres, les dernières de l’ère hitlérienne. Gros score, certes mais loin des 90% de la fable débitée par Bayrou.

6 mars 1933, le Parti communiste d’Allemagne (KPD) est interdit

Les 81 députés communistes sont arrêtés.

24 mars 1933, le Reichstag par 444 voix contre 94 vote les pleins pouvoirs à Hitler

Celui-ci peut gouverner par décrets directement. Au bord de la mort, le président Hindenburg n’a plus la force de s’y opposer, ni peut-être l’envie.

21 juin 1933, le SPD est interdit

Ses élus et ses dirigeants sont arrêtés.

14 juillet 1933, Hitler signe un décret stipulant que le Parti nazi (NSDAP) est le seul parti autorisé

La création de nouveaux partis et la restauration des partis anciens sont réprimés à raison de l’emprisonnement de 6 mois à trois ans.

12 novembre 1933, élections législatives

Avec une seule liste autorisée, celle du NSDAP. C’est seulement à ce moment-là que les nazis obtiennent 93,4% des suffrages. Mais évidemment, ces élections-là sont tout, sauf libres!

29 juin-2 juillet 1934, Nuit des Longs Couteaux

Les SA (Sturmabteilung), dirigés par Ernst Röhm, forment la milice du Parti nazi; ils sèment la violence et le désordre dans les rues des principales villes allemandes, avant mais aussi après la prise du pouvoir de Hitler.

Violemment antisémites, ils s’attaquent aux Juifs mais exigent en même temps des réformes sociales radicales et des mesures anticapitalistes. Or, Hitler a un besoin vital d’être soutenu par le patronat allemand – qui rejette avec véhémence les prétentions sociales de l’aile Röhm des nazis – et par le haut commandement militaire allemand qui ne veut plus voir une milice armée comme la SA se développer en dehors d’elle et fomenter des foyers de désordre.

Le Führer n’a pas encore toutes les cartes en main pour asseoir son pouvoir absolu. Il ne peut pas encore se payer le luxe de s’opposer à la fois aux capitaines d’industrie aux généraux de la future Wehrmacht.

Hitler s’exécute. Ou plutôt exécute son vieux compagnon Ernst Röhm ainsi que la tête de la SA. Par ce nettoyage, le Führer se débarrasse du dernier caillou dans sa botte.

19 août 1934, plébiscite

Après la mort du président du Reich Paul von Hindenburg le 2 août, Hitler promulgue la loi qui fusionne dans sa seule personne les fonctions de président et de chancelier. Cette loi fait l’objet d’un plébiscite qui est approuvé par 89,93% du corps électoral. C’est sans doute cet épisode qui a induit le premier ministre français à sonner sa sornette. Mais ce plébiscite ne répond à aucun des critères d’une élection libre: pas de concurrence, pas de débat, pas d’opposant, pas d’information et climat de terreur imposé par un dictateur qui peut désormais exprimer sans contrainte son hybris et celle de son clan.

On lèche…

Si les conditions politiques, sociales et économiques ont changé depuis les années 1930, le processus qui conduit de la démocratie à la dictature reste le même. Aujourd’hui, Poutine l’a utilisé; Orban, Erdogan, Nétanyahou, Trump cherchent à l’imposer dans leur pays.

L’aspirant dictateur s’impose tout d’abord à la tête d’un parti dont il devient le chef charismatique. Toutes les voix discordantes au sein dudit Parti doivent être étouffées.

La phase suivante consiste à caresser le corps électoral dans le sens du poil et à flatter les viles pulsions qui enténèbrent tous les humains. Dans Mein Kampf, Hitler révélait la quintessence de sa recette communicante : «Les grandes masses sont aveugles et stupides. (…) La seule chose qui soit stable, c’est l’émotion et la haine.» Cette leçon n’a pas fini de faire des disciples.

Une fois obtenu, le succès électoral permet à l’aspirant dictateur et ses complices de mettre le pied dans la porte du pouvoir.

Une fois le pouvoir obtenu, ils s’attaquent en premier lieu à la presse et à tous les moyens d’expression. Hier, il fallait contrôler les journaux. Aujourd’hui, il convient surtout de maîtriser les algorithmes des réseaux sociaux, à l’instar de Musk au bénéfice de Trump. Le truchement a changé mais non pas la méthode.

…Et on lynche

Une fois la communication maîtrisée, le dictateur (il a désormais dépassé le stade de l’aspirant) s’efforce de convaincre le peuple de sacrifier les dernières prérogatives qui lui restent sur l’autel de la sécurité et de la lutte contre l’ennemi intérieur. « Oh, pas de souci, c’est juste une petite entorse très provisoire ». Mais immanquablement l’entorse se transforme en amputation de la démocratie.

Nous voilà avertis.

Jean-Noël Cuénod

3 réflexions sur « Hitler élu démocratiquement? La fable et l’engrenage »

  1. Bravo et merci Cher Jean- Noël pour cet article très intéressant. Bonne fin de journée . Amitiés Mario-Dominique

  2. merci de ces infos que je ne connaissais pas…je souhaite que l’histoire ne se renouvelle pas de cette façon… Amicalement Alain

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