Elon Musk tisse sa toile en la tirant toujours plus vers l’extrême droite. Les diverses formes fascistoïdes qui métastasent le globe reçoivent toutes son appui. Un appui qui compte puisque le milliardaire règne sur les économies du présent et de l’avenir. Sans compter qu’il sera le puissant conseiller du président Trump. Mais le projet de Musk a déjà dépassé la station « Maison-Blanche ».
Au présent, il est maître des satellites, du réseau social le plus influent politiquement (X, ex-Twitter), de l’industrie spatiale, de l’industrie automobile électrique. Et pour les technologies de l’avenir, il en occupe les avant-poste, notamment avec Neuralink qu’il a cofondé et copréside encore.
Cette entreprise développe des puces électroniques destinées à être intégrées dans le cerveau afin d’en augmenter la mémoire, de le brancher sur l’intelligence artificielle ou de lui permettre d’agir sur des terminaux. Bienvenue dans le monde enchanté et enchanteur du transhumanisme!
Une idéologie et un projet
Avec un tel programme, le poste de conseiller privilégié du président Trump ne serait qu’un passage lui permettant de bien baliser le terrain pour devenir l’autocrate du futur, doté de la réalité des pouvoirs sur le destin humain, reléguant les Etats-Nations les plus puissants au rang de partenaires subalternes.
Elon Musk est habité par une idéologie, celle des libertariens qu’il compte bien conduire jusqu’au bout de sa logique. Et par un projet, maîtriser à son profit les instruments de la future intelligence.
En cela, il diffère notoirement de son complice du moment, Donald Trump qui, lui, n’a d’autres idéologie et projet que de s’agripper à son Bureau Ovale par tous les moyens.
L’escroquerie libertarienne
Le mot « libertarien » paraît sympathique de prime abord. Il se réfère à la liberté et ressemble euphoniquement au socialisme libertaire. Cette confusion est souvent entretenue dans les médias.
Or, faire de la mouvance libertarienne incarnée par Elon Musk une sorte de prolongement du mouvement libertaire relève de l’escroquerie et du faux dans les titres. A part le préfixe, ces deux termes se situent même sur des pôles opposés.
En résumé, le socialisme libertaire prône l’abolition de l’Etat, de toutes les structures autoritaires et de la propriété privée des moyens de production. Il vise à l’instauration de rapports économiques autogérés basés sur l’égalité et développés au sein de structures fédératives de coopératives et de mutuelles.
Il s’agit, en bref, de la libre association de producteurs libres et égaux entre eux en rupture d’avec le capitalisme, sans coercition étatique. En cela, il diffère radicalement du communisme autoritaire de type bolchévique.
Pour les libertariens, pas question de rompre d’avec le capitalisme, bien au contraire! Il s’agit de mettre tout en œuvre pour le déréguler au nom de la liberté individuelle la plus étendue possible. L’individu, seul, compte. L’égalité constitue un frein qui empêche l’individu d’exprimer ses potentialités.
L’autre est perçu comme un instrument à séduire pour en exploiter les ressources ou à réduire s’il regimbe.
La campagne de Musk contre Wikipédia
La libre collaboration entre individus égaux, de type horizontal, horripile les libertariens comme l’illustre l’actuelle campagne que mène Elon Musk pour dénigrer Wikipédia. Au-delà des prétextes que soulève le milliardaire, il s’attaque avant tout à ce qui fait la substantifique moelle de Wikipédia, à savoir la libre collaboration gratuite, universelle et sans hiérarchie.
Car même s’ils prétendent le contraire, les libertariens aiment la hiérarchie mais à la seule condition qu’elle soit instituée à leur profit, c’est-à-dire, aux individus qui auront mis la main sur les leviers économiques sans s’embarrasser de ces scrupules néfastes qui freinent l’hybris du Moi surpuissant.
Dès lors, toutes les lois sociales sont perçues comme des entraves à abattre de façon systématique.
L’exemple argentin
Le président Javier Milei – qui met en œuvre le programme libertarien – est en train d’accomplir cette tâche en Argentine sous le regard admiratif de Musk-Trump qui s’apprêtent à en faire autant chez eux.
Si les libertariens détestent l’Etat social, en revanche, ils aiment, sans le dire trop haut, l’Etat policier comme le démontre l’exemple argentin, véritable laboratoire du libertarianisme réel.
Les premières mesures de démantèlement des aides sociales ont suscité, en juin dernier, la colère de milliers de manifestants à Buenos-Aires qui ont subi une sévère répression policière ordonnée par ce grand amant de la liberté qu’est Milei.
Et si Musk hurle contre « l’Etat policier britannique » c’est avant tout pour voler au secours de l’activiste d’extrême droite Tommy Robinson.
Pour les libertariens, l’Etat ne doit servir qu’à défendre les intérêts des individus détenteurs des leviers économiques, un point c’est tout. Et pour atteindre ce but, tous les moyens qui restent à l’Etat doivent lui être réservé.
Le transhumanisme, sa méta-idéologie
Cela dit, Elon Musk rêve plus haut en développant ce qui semble être pour lui la méta-idéologie du libertarianisme, à savoir le transhumanisme.
En résumé, il s’agit de libérer l’humain du vieillissement et même de la mort par l’emploi des NBIC – Nanotechnologie (la connaissance de l’infiniment petit), Biotechnologie (technologie du vivant), technologie de l’Information et de la Communication – ainsi que par la fusion entre l’ordinateur et les humains (à ce propos, lire cet article du CNRS-Centre national de la recherche scientifique).
C’est bien cette direction qu’Elon Musk a fixée à ses affaires par la création de Neutralink. Son projet martien fait sans doute partie des bagages vers l’éternité technologique.
Tous dieux! Mais qui s’occupe des poubelles?
Les humains, devenus dieux puisqu’éternels, auront donc un début, leur naissance, mais plus de fin. Ce qui contredit le mouvement même de la vie, de la plus petite bactérie jusqu’aux galaxies. En voulant supprimer la mort, les transhumanistes n’aboutiraient pas plutôt à l’anéantissement de toute vie?
Et puis dans ce monde de dieux, qui s’occuperait des poubelles et autres corvées aussi quotidiennes qu’indispensables? On voit mal les ex-humains devenus dieux s’abaisser à pareilles tâches. Pourquoi ne pas les confier à des humains qui, eux, n’auront pas eu les moyens d’acquérir les fruits en or massif des technologies transhumanistes? Les pauvres n’auront que ce qu’ils méritent!
Elon Musk sans limite?
Du délire futuriste? Certes mais il est sous-tendu par la vieille idéologie qui maintient l’exploitation de l’homme par l’homme. Si Elon Musk soutient les extrêmes du conservatisme, ce n’est donc pas un hasard.
Ce prophète du transhumanisme tendance martienne semble n’avoir aucune borne. Cela dit l’absence de limite de Musk risque de devenir sa propre limite. A tout mouvement engagé répond son contraire. Gare au retour du balancier qui sera proportionnel à la puissance du lancer initial.
Et ce balancier, le milliardaire est en train de le pousser très loin!
Jean-Noël Cuénod
Merci Jean Noël, pour cet éclairage pour le moins non-conventionnel, tout comme d’ailleurs l’acteur du rôle principal, Elon Musk.