Mayotte et Retailleau: de l’indignité à la myopie

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Indispensable carte pour comprendre la situation de Mayotte (University of Texas Library – Perry Castaneda Map Collection)

Mayotte ne parvient pas à faire le compte de ses morts, de ses blessés, de ses sans-abri, tant les ravages causés par le cyclone Chido se révèlent colossaux. Mais la première pensée du sinistre de l’Intérieur, plus Retailleau que jamais, est d’en appeler à lutter contre l’immigration. A l’indignité de ses propos, il ajoute la myopie de ses solutions.

Bruno Retailleau aurait-il à la place du coeur et du cerveau, un institut de sondage? « Il faudra légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration » s’exprime-t-il sur le réseau X ex-Twitter. Surtout ne pas rater une occasion de flatter la xénophobie ambiante!

Que l’immigration massive plonge Mayotte depuis des années dans une spirale de difficultés majeures, avec une augmentation spectaculaire de l’insécurité, c’est un fait. Mayotte compte officiellement 320 000 habitants, mais 100 000 à 200 000 personnes de plus y vivraient illégalement, compte tenu de cette forte immigration clandestine.

Que la France, si lointaine, a laissé les Mahorais seuls face à ce phénomène migratoire massif, est un autre fait.

Que nier cet aspect, c’est s’empêcher de porter une aide véritable à Mayotte, en constitue un troisième.

Un référendum il y a 50 ans

D’où provient cette immigration? De Madagascar, d’autres pays africains mais surtout des trois autres îles non-françaises de l’archipel des Comores.

A la source de cette situation? Le référendum d’autodétermination organisé, il y a juste 50 ans, par la France dans tout l’archipel des Comores qu’elle avait colonisé. Géographiquement, l’archipel est composé de quatre grandes îles se situant dans l’océan Indien, non loin de Madagascar. Trois d’entre elles avaient opté pour l’indépendance : Grande Comore, Mohéli et Anjouan.

Mais la quatrième – Mayotte – avait choisi de rester française. Elle est devenue département et région d’outre-mer.

Les trois autres grandes îles sont aujourd’hui réunies dans un Etat, l’Union des Comores, qui n’a jamais reconnu le choix des habitants de Mayotte à demeurer en France. Le drapeau de l’Union des Comores comporte d’ailleurs quatre étoiles, l’une d’entre elles représentant Mayotte.

Chic, un bouc émissaire!

Aujourd’hui, Bruno Retailleau prend prétexte de ce litige pour dénoncer l’Union des Comores lors d’une interview sur BFMTV mercredi 18 décembre: « On sait très bien qu’il y a une politique comorienne qui consiste finalement à laisser partir […] Il y a une forme, le mot est sans doute trop fort, de guerre hybride si j’ose dire, en poussant des populations vers Mayotte pour susciter une sorte d’occupation clandestine. »

Voilà Retailleau tout frétillant d’avoir débusquer un bouc émissaire… L’immigration serait ourdie par les vilains Comoriens!

Que l’Union des Comores laisse partir ses miséreux, c’est plus que vraisemblable.

Mais ce n’est pas sur simple invitation de son gouvernement que l’on accepte de payer des passeurs, que l’on s’embarque dans des coquilles de noix appelées « kwassa kwassa », que l’on tente de franchir les 70 kilomètres séparant l’île comorienne d’Anjouan de Mayotte et que l’on risque sa vie en affrontant les courants d’un bras de mer réputé dangereux.

La misère des Comores

En fait, la misère abyssale qui règne dans les Comores – l’un des Etats les plus pauvres de la planète (160ème sur 188 selon l’indice du développement humain) – constitue la véritable cause de cette ruée vers Mayotte avec tous les déséquilibres sociaux et économiques qu’elle provoque.

Cette île est, certes, le département le plus déshérité de la France. L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) estimait en 2018 que 77% de la population de Mayotte vivait sous le seuil de pauvreté. Malgré tout, Mayotte reste attractive aux yeux des Comoriens dont l’économie est effondrée depuis des années.

Attractive notamment pour les futures mères de famille comoriennes qui, venues illégalement à Mayotte, y accouchent pour que leurs enfants deviennent Français.

Droit du sol limité

Cela dit, le droit du sol ne s’applique pas à Mayotte comme dans le reste de la France. Pour qu’un enfant devienne français à Mayotte, un de ses deux parents doit être en situation régulière depuis plus de trois mois à la naissance de l’enfant. Bruno Retailleau propose d’élever ce délai à un an.

Aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur bombe sonmaigre torse en déclarant se montrer « beaucoup plus dur vis-à-vis des Comores »

Et comment va-t-il s’y prendre? En lançant la Marine Nationale à l’assaut des Comores? En érigeant un immense mur autour de Mayotte (185,2 kilomètres de côte)?

Tenter de sortir tout l’archipel de la misère

Les lois anti-immigration les plus répressives seront toujours mises en échec par les puissants moteurs de la faim et du désespoir. Certes, les forces de l’ordre françaises interceptent en moyenne deux « kwassas kwassas » par jour, selon le site Le Marin; entre 25.000 et 26.000 immigrés clandestins sont reconduits aux frontières chaque année. Peine perdue, le nombre de résidents illégaux continue d’augmenter.

Tant que la misère absolue sévira dans les îles non-françaises des Comores, le flux des clandestins ne se tarira pas. Il est donc impossible de résoudre l’équation migratoire à Mayotte sans y inclure toutes les îles de l’archipel des Comores.

Au lieu de se livrer à de stériles provocations contre l’Union des Comores, Bruno Retailleau ferait bien de laisser la main aux diplomates pour reprendre langue avec les Comoriens et envisager un plan d’aide pour amorcer enfin le développement de l’ensemble de l’archipel.

Mayotte est aussi européenne!

Et si la France n’est plus à même de fournir un tel effort financier, il faudra bien que l’Europe y participe. Car, on l’oublie volontiers, mais Mayotte est aussi une région de l’Union Européenne et celle-ci ne saurait s’en désintéresser dans une région importante sur le plan géostratégique.

Sans doute n’est-ce pas là le propos de Bruno Retailleau. Ce qui lui importe principalement, c’est d’occuper le créneau xénophobe que lui dispute le clan Le Pen, en multipliant les grands coups d’épée dans l’eau de l’océan Indien.

Jean-Noël Cuénod

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