Repas de famille, réunions entre copains, (avec ou sans gestes-barrière), causeries captées ici ou là à travers le masque FFP2… Et nous voilà en mesure de concevoir notre propre diagramme d’opinions politiques pour situer les partisans ou les opposants au vaccin anticovid. On y verra que, parfois, les extrêmes se mouchent dans le même mouchoir tissé de complotisme. Quitte à se contaminer parmi !
Dans ce domaine, il convient tout d’abord de faire preuve de circonspection car les formes d’oppositions à la vaccination se révèlent fort diverses, entre les opposants par principe à toute vaccination, celles et ceux qui acceptent la vaccination en général mais pas celle contre le Covid-19 avec cet ARN-Messager venu d’on ne sait où, les opposants au passe-vaccinal qui contestent l’obligation tout en prônant la vaccination… Entre nombreuses autres nuances.
Après ce précautionneux préliminaire, voici un diagramme garanti par l’IFP[1] qui part de l’extrême-droite pour aboutir à l’extrême-gauche.
Aux extrêmes de la droite : l’ombre de Trump
Aux Etats-Unis, les républicains – de plus en plus poussés à l’extrême-droite par leur trumpisme désormais endémique – comptent nombre de gueulocrates vociférant contre les mesures fédérales du président démocrate Joe Biden dont ils n’ont toujours pas reconnu la victoire. Récemment, cinq Etats gouvernés par les républicains –– Arkansas, Floride, Iowa, Kansas et Tennessee – ont décidé d’indemniser les salariés qui ont perdu ou quitté leur emploi pour avoir refusé de se faire vacciner contre le Covid-19.
En Autriche, le FPÖ (extrême-droite) se situe à la pointe du combat contre ce vaccin. Et son homologue suisse, l’UDC, est le seul grand parti à refuser de se joindre à l’appel à la population pour se faire vacciner contre le coronavirus. Normal, le taux de vaccination des partisans blochériens est particulièrement bas (lire ici ).
En France, les jumeaux ennemis Marine Le Pen et Eric Zemmour se montrent plutôt embarrassés. D’un côté, ils ne sauraient approuver le passe-vaccinal instauré par leur bête noire Emmanuel Macron. D’un autre, ils souhaitent ne pas paraître trop irresponsables aux yeux d’une population française qui compte près de 76% de personnes complètement vaccinées.
Leur casse-tête est d’autant plus douloureux que, de l’aveu même de l’eurodéputé lepéniste Nicolas Bay, l’électorat du Rassemblement national est lui aussi très partagé, avec 50% dans chaque camp pro et anti-vaccin.
La messe en latin bâillonnée ?
Autres extrémistes anti-vaccins (qui peut se recouper avec l’extrême-droite mais pas systématiquement), les intégristes du christianisme. Chose entendue à la sortie d’une messe en Dordogne : les catholiques « tradis » partisans du latin liturgique ne portaient pas de masques, au grand dam des fidèles de Vatican II qui, eux, l’arboraient à la demande de leur curé. Il est vrai que réciter le credo en latin en portant un masque FFP2 relève du défi…
A mesure que l’on s’extirpe de l’extrême-droite pour se diriger vers la droite normale et le centre, le vaccin devient majoritaire, puis nettement dominant. La droite LR (les Républicains) et sa candidate Valérie Pécresse critiquent telle ou telle mesure du président Emmanuel Macron, certes. Mais les cris sont d’autant plus glapissants que leurs reproches ne visent que la marge des mesures prises, alors que sur le fond la droite dite « de gouvernement » obtempère en murmurant.
Dans la plupart des pays européens, les partis socialistes démocratiques plébiscitent le vaccin. Certains préconisent même son obligation.
Du rose au vert…
Changement de paysage si l’on passe du rose au vert. Chez les écolos, une certaine retenue se fait jour sans pour autant se traduire par une vague vaccinophobe. En France, le candidat écologiste Yves Jadot a déclaré devant les caméras de France 2 que s’il est favorable à la vaccination, il ne recommande pas pour autant le passe-vaccinal macronien. En Suisse, les verts se sont tout d’abord montrés méfiants à l’endroit du vaccin, selon Le Temps du 2 février 2021. Mais un an après, les écolos suisses, dans une déclaration sur leur site (lire ici) enjoignent le Conseil fédéral à « rapidement accélérer la campagne de vaccination ».
Ce balancement entre méfiance initiale et acceptation en fin de compte peut s’expliquer par la présence au sein des Verts de nombreux adeptes des médecines douces ou traditionnelles dont plusieurs ne portent pas le vaccin dans leur cœur, même s’il existe un large éventail d’opinions en leur sein. Et puis, avec l’accumulation des victimes du Covid, le vaccin est alors apparu comme l’une des rares mesures un tant soit peu efficace, ce qui a transformé la méfiance en acceptation.
Ostalgie vaccinale
Sitôt abordées les terres de l’extrême-gauche, les opposants au vaccin reprennent du poil de la bête. Lider maximo de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon ne s’oppose pas au vaccin anti-covid, toutefois il le qualifie de « raquette trouée » à la tribune de l’Assemblée nationale le 3 janvier dernier en déposant une motion contre le passe-vaccinal, motion rejetée.
En Allemagne, cette question a pris une tournure étonnante. En février de l’an passé, l’Institut Civey publie un sondage montrant que 60% des habitants des Länder de l’Est se disent prêts à recevoir le vaccin anti-Covid-19 Spoutnik V mis au point en Russie (ce taux baisse à 49% dans les Länder de l’Ouest). L’Ostalgie est décidément bien ancrée dans l’ancienne DDR !
Aux extrêmes de la gauche : le « Manifeste conspirationniste »
Mais c’est en France que l’extrême-gauche s’est montrée la plus virulente contre le vaccin, par le truchement du Manifeste Conspirationniste qui fait actuellement beaucoup parler de lui dans les rédactions. D’autant plus que ce brûlot anonyme n’est pas diffusé par des presses à bras de quelque groupuscule anarchisant mais par l’une des plus grandes maisons d’édition, Le Seuil.
Moult journalistes français ont cru percer l’anonymat de ce manifeste en l’attribuant à Julien Coupat[2]. Quel qu’en soit l’auteur, cet ouvrage nous donne un concentré du complotisme de type covidien en version extrême-gauche. A preuve, ces extraits :
Pendant vingt ans, ils ont simulé cette gestion de crise. A présent, ils réalisent cette simulation. Tout cela est connu, documenté, théorisé. Tout cela est pensée jusque dans ses effets les plus subtils, les plus indirects. (…) Mais il n suffit pas d’avoir un plan et les moyens de le réaliser pour qu’il se déroule sans accroc. Encore faut-il s’assurer qu’aucune autre force organisée agissant stratégiquement ne vienne le faire dérailler.
Le « ils » en question se rapporte aux dirigeants politique, économiques et médiatiques qui forment une mafia tirant toutes les ficelles pour mieux nous asservir. Dans cette optique, le Covid-19 n’est qu’une opportunité que les décideurs saisissent pour asseoir leur pouvoir.
Deux rives de plus en plus proches
Ainsi, les extrêmes distillent souvent de semblables alcools, même si leurs ingrédients de base diffèrent.
Le principal point commun entre ces deux rives de plus en plus proches reste la défiance radicale devant toute forme de gouvernement. Porter le masque FFP2 et se faire vacciner sont, pour les deux camps, les marqueurs identitaires de la Collaboration, de la soumission.
Pour les extrémistes de droite, le pouvoir est devenu nébuleux avec la mondialisation de l’économie et il faut le remplacer par une direction autoritaire et nationale.
Pour les extrémistes de gauche, les dirigeants politiques ne sont que les marionnettes d’un capitalisme financier tout aussi nébuleux. Et c’est lui, le capitalisme financier, qu’il faut abattre. Par quoi le remplacer ? La question reste posée. Et la direction autoritaire, prônée à droite, peut aussi faire l’affaire à gauche. Le passé est riche de ces tours de passe-passe.
A prendre au sérieux
L’erreur serait de considérer le complotisme et la vaccinophobie comme des bouffées délirantes. Elles sont aussi des signes qui désignent les dangers que recèle la situation présente.
La pandémie a restreint la liberté individuelle, c’est un fait. Tout pouvoir, quel qu’il soit, tend à conserver cette restriction, c’en est un autre. La France nous en donne l’exemple : les lois antiterroristes se sont définitivement inscrites dans le paysage de l’Hexagone.
Puissions-nous ne pas transformer les décisions pandémiques en mesures endémiques.
Jean-Noël Cuénod
[1] Institut Pifométrique Personnel
[2] L’ex-ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie avait hâtivement désigné Julien Coupat en 2008 comme un terroriste de l’ultra-gauche et chef d’un fumeux « Groupe de Tarnac », nom d’un village corrézien, responsable, selon elle, de déprédations contre des lignes à grande vitesse. En 2018, l’ « affaire » s’est conclue en justice par un non-lieu quasi-général, la présidente de la XIVe Chambre correctionnelle de Paris, Corinne Goetzmann, ayant estimé que le « groupe de Tarnac était une fiction » .
Cet article est paru vendredi 28 janvier 2022 dans le magazine numérique BON POUR LA TÊTE-Média indocile https://bonpourlatete.com