Jamais les problèmes que doit résoudre l’humanité n’apparaissent aussi ardus. Jamais les débats politiques, ici et ailleurs, ne se montrent aussi simplistes. D’ailleurs, le mot « débat » – qui suppose échanges d’arguments — ne convient pas. Il s’agit plutôt de superpositions de postures outrancières. Le match Zemmour – Mélenchon de jeudi soir en a fourni une illustration de plus.
Pas besoin d’argument. Juste de l’affichage. Peu importe ce que dit l’adversaire devenu ennemi. L’essentiel est de paraître, au sein de son propre camp, le plus radical : « J’ai une plus grosse radicalité que la tienne ! » De ce genre de télépugilat, il ressort deux catalogues de caricatures et un match nul. Très nul.
La France ne possède pas le monopole de ces joutes salivaires. Celles qui opposèrent Trump à Biden aux Etats-Unis avaient battu tous les records de la consternation politique.
BFMTV bat France 2
A toute castagne, il faut un organisateur ; en l’occurrence, BFMTV. Cette chaine de sous-information continue a gagné haut la main son pari : Zemmour-Mélenchon a cartonné : 3,8 millions de téléspectateurs et 18,7% de part d’audience. La victoire est d’autant plus savoureuse que France 2, au même moment, a pris un sacré bouillon avec son pâle « débat » entre Valérie Pécresse et Gérald Darmanin : 1 million de téléspectateurs et 5,1% de part d’audience (lire ici).
Il faut dire que l’affrontement à fleurets mouchetés entre la prétendante de la droite-tailleur-pantalon et le ministre de l’Intérieur – qui partagent peu ou prou les mêmes idées et défendent les mêmes intérêts – faisait tisane verveine-menthe en comparaison du schaps à 60° servi sur le comptoir de BFMTV. L’affiche la fichait plutôt mal.
Même s’il y a eu, in casu, un semblant échange d’arguments. Semblant, car la proximité idéologique et politique est telle entre Valérie Pécresse et Gérald Darmanin que si échange il y a eu, il ne pouvait être que millimétrique. Et ce n’est pas cela qui aidera le citoyen à se former une opinion.
Mousse et beuze
D’aucuns vilipenderont ces vilains spectateurs qui préfèrent le catch entre deux tignous à un bridge entre deux proprets. Ils auront tort. Le public sait bien que les campagnes électorales relèvent désormais d’une entreprise de divertissements et qu’il ne faut rien en attendre d’autres qu’une partie de rigolade avec paris à la clef. Alors autant aller là où le sang va gicler sur les murs, c’est quand même plus marrant.
Face à Mélenchon, Zemmour proclame jeudi soir que l’islam est incompatible avec la République française. Pour sortir de cette « incompatibilité » intrinsèque – qui, dans son discours, ne concerne donc pas que l’islamo-terrorisme ou l’islam politique mais l’islam en général – le médiacrate ne dessine aucune piste.
Que ferait donc la France de ses musulmans ? Les renvoyer en terre d’islam ? Comment procède-t-on concrètement ? Et les millions qui disposent d’un passeport français, quel sort leur réserver ? Des camps de redressement ou pire si non-affinité ? Mystère. Pas grave, il s’agit de faire du beuze et de la mousse, Coco ! Rien de plus.
A cette diatribe, Mélenchon réplique par un discours sur la « créolisation » de la société qui surmonterait, en fin de compte, toutes les difficultés d’intégration. Mais là aussi, le public est invité à stagner dans le flou des marais conceptuels.
Le poids mortel du polit-divertissement
Islam politique, accroissement des inégalités sociale, violences tous azimuts, dérèglement climatique, transition écologique, déclin de la culture générale…Tous ces défis colossaux réclament une intelligence collective que les formats actuels des campagnes électorales ne permettent plus d’exprimer.
Pour empêcher la démocratie de crever sous le poids du polit-divertissement, il devient urgent de se décarcasser les neurones. Sans doute, faudrait-il même trouver de nouvelles formes de prise de décision démocratiques comme les tirages au sort, au moins partiels, ou le recours aux référendums et initiatives citoyennes, tous instruments qui, s’ils ne sauraient supprimer tout à fait la démagogie, ont au moins l’avantage de mettre les réels problèmes au premier plan et les egos style Montgolfière, au second.
Le ménage dans les méninges journalistiques
Mais surtout, il appartient à la profession journalistique de faire le ménage dans ses méninges. Car ces mises en scène de gueulocrates sont contraires à la plus élémentaire déontologie professionnelle. Le boulot du journaliste, c’est de tenter de décrire les faits et de les mettre en perspective de façon pédagogique ; non pas d’organiser des combats de gladiateurs.
J’entends déjà grincer les ricanements : « Pfff ! Vision dépassée d’un vieux journaleux incapable de se mettre au diapason de la politique-spectacle ! »
Lorsque la démocratie, au train où elle va, aura déraillé et ne sera plus capable d’apporter des solutions à la survie collective, ce seront d’autres formes de gouvernement qui s’imposeront. Nettement plus musclées.
Les ricaneurs d’aujourd’hui risquent fort d’être les pleurnicheurs de demain.
Jean-Noël Cuénod
Merci cher Jean-Noël pour cette eau claire de la pensée, qui nous nettoie des vomissures régurgitées par le fascistoïde d’un côté, et des éructations proférées par le Fouqier-Tinville des chambres hautes et basses de l’autre. Bon je n’en ai avalé qu’n tout petit quart d’heure, juste assez pour que mon estomac se protège en choisissant un bon petit Bourgogne, partagé avec ma compagne.
Le match Zemmour-Mélenchon est aussi attrayant qu’un match Real-Barça.
Mais dans le dernier cas, Benzema n’a pas la prétention de devenir Président.
Espérons que le bon peuple saura faire la différence entre un pugilat verbal et les qualités demandées à un chef d’état, peut-être même mauvais orateur.
Quoique le doute puisse persister !!!