Impression ce matin de se réveiller dans un vide-ordure. Donald Trump règne désormais sur la première puissance mondiale. Pourtant, on la sentait venir cette catastrophe, dans l’ambiance d’égout qui nous plombe. Victoire des «petits» contre les «grands», clameront les démagogues. Lui, un «petit» ce milliardaire qui se vante de ne pas payer un cent d’impôt? Victoire de la «base» contre les «élites» ! Parce que Trump, le médiacrate, le fils à papa, il ne fait pas partie des «élites» ? Mais il est en plein dans les «élites», le Trump ! Il marche dedans et ça lui porte bonheur. Car faire partie des « élites » désormais, c’est exhiber son fric, être raciste, prôner la violence, mépriser les femmes, emporter la présidence américaine sans s’être donné la peine d’élaborer un programme.
Cette victoire est aussi une réaction violente contre une mondialisation qui échappe à tout le monde, sauf aux hyperriches. Mais espérer que Trump – qui n’a aucune vision du monde – est capable de contrer ce mouvement, c’est croire que Rantanplan va décrocher le Prix Nobel de Physique.
L’élection de Donald Trump va libérer tous les démons de la société. Tous nos démons intérieurs aussi. Cette élection, c’est aussi l’annonce faite à Marine. L’Elysée est à portée de main du Front national. Le pire n’est plus possible, il est probable. Avec Poutine, Erdogan et maintenant Trump à la Maison Blanche, jamais le monde n’a été aussi imprévisible, jamais le monde n’a été aussi dangereux. Quant aux Etats-Désunis, ils sont désormais divisés en deux moitiés qui se haïssent mutuellement. La seule bonne nouvelle est l’effondrement, une fois de plus, des sondages d’opinion qui servent d’oreillers de paresse aux médias.
Cet effondrement moral et intellectuel est aussi aussi le nôtre. Nous avons la Rome et les Césars que nous méritons. Nous avons voulu le règne de la quantité, nous y sommes soumis. Nous avons choisi le matérialisme et la cupidité pour moteur, nous voilà embarqués plein pot vers le précipice. Les dirigeants politiques ne sont que l’expression de nous-mêmes. Si le peuple sécrète pareils tordus, c’est le signe qu’il marche de travers. Nous avons tous la tronche de Trump.
De Manille à Londres, en passant par Budapest, Vienne, Varsovie, Amsterdam, Genève, Zurich, Paris, Marseille et tant d’autres, la marée de la médiocrité ramène toujours sur nos plages du XXIe siècle, les détritus rejetés par l’Histoire : nationalisme, démagogie, racisme, identité fantasmée, fermeture du cœur et du cerveau. Des murs, des murs, partout des murs. A l’extérieur. A l’intérieur. On appelle «populistes» le ramassis de politicards qui ont, comme l’on dit dans les gazette d’une autre âge, «le vent en poupe» . «Populiste» ? Mais du peuple, ils ne veulent qu’une chose, l’agiter avant de s’en servir! Et de servir les copains, une fois parvenus aux bonnes places.
La question des «migrants» – mot chafouin qui signifie «réfugiés» – est devenue l’obsession qui occulte toutes les questions vitales pour notre avenir : le réchauffement climatique, l’inégalité toujours plus criante entre les hyperriches et les autres, le tissu social qui devient lambeaux, les déserts ruraux asséchés par le simoun du capitalisme sauvage.
C’est tellement facile de désigner cette masse de femmes, d’hommes et d’enfants qui errent sur la planète en fuyant la faim et le feu, plutôt que de s’attaquer au système financier qui a créé ces situations. On ferme les frontières et c’est au voisin de se démerder. Le voisin fait la même chose avec d’autres voisins et ainsi de suite. Le problème n’est pas réglé ; il est enfoui sous le tapis d’à-côté. Mais, fatalement, il reviendra. Des terroristes parmi les réfugiés ? Il y en a sans doute quelques uns au milieu de ces foules jetées sur les routes. Mais les terroristes ne s’appellent pas tous Mohamed. Ils ont aussi les cheveux blonds, un nom bien de chez nous, comme ce jeune égorgeur normand.
Trump, le clan Le Pen, Blocher, Orban et tand d’autres ont éveillé le pire en nous. Nous vivons en ère vulgaire et serons, un jour ou l’autre, nos premières victimes.
Jean-Noël Cuénod
Est ce naïf de penser qu’aux US et aussi chez nous, le peuple aura toujours son mot à dire et le peuple veillera …
Comme toujours, cher Jean-Noël, ta perspicacité est éblouissante!
Lors d’un diner à Paris avec ma cousine de New York, il y a trois semaines, j’insistais sur le fait qu’il fallait considérer le « phénomène Trump » avec un regard politique. Pas seulement en se moquant du personnage ridicule et repoussant. La Vox populi, quand elle n’est jamais entendue, qu’elle est oubliée, niée, et parfois méprisée, se fait entendre alors avec une rage destructrice et une violence qui ouvrent la voie aux régimes les plus épouvantables – vers la droite (Hitler) ou vers la gauche (Lénine, Mao…).
Je reviens de Turquie (un festival de poésie à Bursa, la ville où Nazim Hikmet a passé tant d’années en prison). Ma plus ancienne amie est en prison depuis 2 mois. Pour longtemps. Tous mes amis sont dans l’incertitude, l’inquiétude, et la combativité du désespoir. Là aussi, la majorité du peuple est derrière Erdogan…!
Chez nous aussi, le peuple (dont nous faisons TOUS partie !) est ignoré, moqué, trahi. Marine Le Pen a un boulevard devant elle. Nous avons de la pâte à pain à malaxer sur la planche (savonnée) de l’Histoire – et aussi du langage à inventer. Ne baissons pas les bras, et regardons les choses en face. Nous sommes sur la même planète : partageons et unifions nos efforts.
Merci à toi d’y contribuer avec autant de constance et de clairvoyance.
Marc