La fin de règne de Trump met décidément au jour les principales tares de la société américaine. Et donc aussi de la nôtre en Europe, tant nous sommes liés à elle, qu’on le veuille ou non. Dernier épisode : Twitter, Facebook et YouTube apparaissent en pleine lumière comme une Cour encore plus suprême que toutes les autres réunies.
Or donc, Twitter et les deux autres réseaux sociaux, Facebook et YouTube, viennent de supprimer le compte que Donald Trump avait ouvert chez eux, réduisant ainsi au silence de chef d’Etat de la première puissance mondiale. Il avait fait de Twitter surtout, le canal officiel de ses élucubrations. Sa stratégie médiatique avait été payante. Aujourd’hui, elle se retourne contre lui. Bien fait, diriez-vous. Certes, mais il faut dépasser cette première impression car c’est la liberté d’expression qui est en jeu.
Le pire président de l’histoire américaine[1] vient ainsi de subir sa première punition. Ce qu’aucune instance judiciaire et politique n’avait réussi à faire en quatre ans de règne effarant – à savoir endiguer ses appels à la haine et à la violence politique –, les dirigeants de Twitter, Facebook et YouTube l’ont exécuté en un seul clic.
Le constat apparaît dans toute sa désespérante évidence : les propriétaires des réseaux sociaux sont désormais les arbitres suprêmes des élégances politiques. Mieux : ils se situent comme juges mondiaux, plus puissants que toutes les instances les plus hautes.
Les raisons de l’interdiction
Comment les patrons de l’entreprise Twitter inc., Jack Dorsey et ses associés, justifient-ils leur décision ?
Après une étude précise des récents tweets du compte @realDonaldTrump et de leur contexte – notamment dans la façon dont ils sont compris et interprétés sur et en dehors de Twitter – nous avons suspendu définitivement le compte en raison du risque de nouvelles incitations à la violence.
Les dirigeants de Twitter font ensuite référence explicite à l’insurrection trumpiste contre le parlement américain et ajoutent le Tweet de Moumoute Jaune qui a fait déborder un vase qui, jusqu’à maintenant, paraissait sans fond. En voici le libellé : A tous ceux qui me le demandent, je ne me rendrai pas à l’investiture du 20 janvier
« Aux yeux de la plateforme, cette phrase fait l’apologie de la violence dans la mesure où elle pourrait être interprétée comme une nouvelle accusation de tricherie par les démocrates lors de l’élection présidentielle » explique Raphaël Grably, de BFM tech.
L’explication de Dorsey and Co paraît fort hypocrite dans la mesure où les patrons de Twitter et des autres réseaux sociaux ont diffusé des propos de Trump beaucoup plus violents et dangereux que celui-ci.
Le laxisme antérieur des réseaux sociaux
Certes, ces juges autoproclamés du Net répondront que l’insurrection trumpiste est un élément nouveau et tellement grave qu’ils devaient prendre cette décision ; tout propos, même d’apparence anodine, de Trump pouvant être interprété par sa meute néonazifiante comme un appel à la criminalité politique.
Toutefois, c’est le laxisme antérieur qui a permis une telle diffusion des thèses de l’extrême-droite par le truchement de leurs réseaux sociaux dont l’encore président fut l’un des meilleurs clients. D’où l’impression que Trump ne pouvant désormais plus servir à grand-chose à Twitter, Facebook et YouTube, il est temps de l’abandonner pour tenter de se refaire une virginité.
De toute évidence, ce muselage donnera du grain empoisonné à moudre pour la fachosphère complotiste. Mais le danger le plus criant se situe à un niveau autrement plus élevé.
Juges sans légitimité
Quelle est la légitimité des patrons de réseaux sociaux pour priver d’expression politique quiconque, même Moumoute Jaune ? Aucune, si ce n’est leur domination économique. C’est donc, les maîtres des réseaux sociaux qui font la loi, élaborent la jurisprudence et exécutent les décisions. Claquemurés dans leurs frontières, empêtrés dans leur lourdeur administrative et leur lenteur procédurale, les juges légitimes sont réduits à l’impuissance.
D’aucuns se montreront soulagés que les flots de haine trumpiste soient endigués. On peut les comprendre. Néanmoins, ils feraient bien de prendre conscience de l’extrême gravité de la décision prise, en toute illégitimité, par ces cyberpatrons.
C’est vrai, les mots peuvent tuer et les tweets assassins, semer la désolation. Néanmoins, seule une instance juridique supranationale serait à même juger ce qui relève ou non de la sanction.
Jean-Noël Cuénod
[1] Il y a une certaine concurrence dans cette compétition. Jusqu’à maintenant, deux présidents démocrates tenaient la corde : Franklin Pierce (1853-1857) et James Buchanan (1857-1861) ; la plupart des historiens s’accordent pour stigmatiser le rôle calamiteux qu’ils ont joué dans la genèse de la Guerre de Sécession. Mais face aux turpitudes de Moumoute Jaune, ils font vraiment petits bras.
Je rêve à ce qu’un Daumier ou un Topor auraient fait du cas Trump…
Amtié
Xavier