Quel que soit le résultat final des élections étatsuniennes, Trump a gagné. Tout d’abord, il peut encore l’emporter dans les urnes. Ensuite, s’il perd de quelques cheveux de sa Moumoute Jaune, l’encore président saisira la justice et, en fin de compte, la Cour Suprême dont la majorité des magistrats campent sur les positions présidentielles. Surtout, avec ou après lui, ses Etats sont moins unis que jamais.
Autre hypothèse, celle du pire : Donald Trump rameute les milices qui lui sont dévouées afin de semer le désordre dans les principales villes et prendre prétexte des troubles pour se maintenir au pouvoir. Après tout, ce n’est que le 20 janvier 2021 que son éventuel successeur sera dûment installé dans ses fonctions.
La stratégie de la tension – que Le Plouc avait évoquée à deux reprises[1]– risque fort de laisser son pays à feu et à sang. Et l’encore président vient d’en rajouter une couche lors d’une récente déclaration prononcée à la Maison-Blanche où il a proclamé sa victoire avant même la fin du dépouillement tout en dénonçant des fraudes en cas de défaite. Propos qui rappellent plus ceux du potentat d’une démocratie balbutiante que du chef de la première puissance mondiale. Cette position trahit d’ailleurs l’effondrement moral de cette nation qui ne peut décemment plus parler au nom de la planète.
Donald Trump n’a pas provoqué l’effondrement américain, il n’en est que le consternant symptôme. Nous assistons sans doute à un bouleversement bien plus profond, à savoir la fin d’un cycle impérial.
Après l’apogée, le déclin
La révolution industrielle et la colonisation avaient initié le «siècle britannique» au XIXe. Il a commencé son agonie lors de la Première Guerre mondiale et a rendu son dernier soupir à la fin de la Seconde, notamment lors de la perte des Indes, « Joyaux de la couronne britannique » qui a amorcé la décolonisation.
A bout de souffle sur le plan économique, la Grande-Bretagne a dû laisser les Etats-Unis lancer leur «siècle américain». La compétition économique et géopolitique avec l’empire soviétique a renforcé encore le dynamisme des Etats-Unis ; l’apogée du «siècle américain» est survenue à la jonction des années 1980 et 1990 avec l’engloutissement de l’empire soviétique dans la fosse commune de l’Histoire. C’était le temps des illusions étatsuniennes de la « fin de l’Histoire ». Le monde allait voguer sur un océan de prospérité et de liberté sous la conduite du capitaine America.
Mais voilà, tout à sa démesure, l’Empire étatsunien a refusé de prendre conscience de l’inéluctable déclin qui suit l’apogée. Ses profondes divisions auraient dû l’alerter. C’est toujours par la désunion que les Empires implosent.
Loin d’être dépassées, la ségrégation subie par les Afro-Américains a pris de nouvelles formes. Et l’élection d’Obama n’a été qu’une belle illusion de plus. Le racisme est nourri aux Etats-Unis par de profondes racines qui ont poussé dès sa fondation.
Les bouleversements sociaux et économiques générés par les multinationales ont atteint les classes populaires blanches dont une partie s’est retournée contre les Afro-Américains perçus comme des concurrents.
En outre, comme partout le patriarcat est mis à mal et se défend en adoptant les positions les plus réactionnaires. D’où la naissance de multiples divisions à l’intérieur même de chaque communauté de genres, de classes ou d’origines ethniques.
Après le «siècle américain», quoi ?
Aujourd’hui, les Etats-ex-Unis sont divisés en camps antagonistes que plus rien ne relie. Donald Trump ne fait qu’arracher la perfusion qui maintenait encore en vie le «siècle américain», ce qui rend particulièrement comique son slogan «make America great again ».
Après le «siècle américain», quel autre Empire s’emparera-t-il du gouvernail mondial ? Seule la Chine semble avoir la carrure nécessaire pour y prétendre. A ce compte-là, le «siècle chinois» risque fort de nous faire regretter, malgré tout, le «siècle américain»!
Et si l’humanité prenait conscience de la toxicité des Empires et se mettait à instaurer des relations dépourvues de prééminences impériales ? Cela demanderait de la part des peuples et de leurs dirigeants une intelligence, une volonté et une qualité d’action à la hauteur de cette haute ambition. C’est sans doute beaucoup trop demander.
Jean-Noël Cuénod
[1] 16 septembre : http://jncuenod.com/pourquoi-trump-ne-perdra-jamais-les-elections-2/ et le 10 octobre : http://jncuenod.com/trump-et-ses-proud-boys-agenda-insurrectionnel/