Le rapport annuel de la Commission étatsunienne sur la liberté religieuse (USCIRF) constate les progrès de l’intolérance en ajoutant cinq « pays de préoccupation particulière » à la liste des Etats qui entravent gravement la liberté de conscience. Parmi les nouveaux venus, la plus grande démocratie du monde, l’Inde.
L’USCIRF (United States on international religious freedom) est une agence gouvernementale indépendante, composée de neuf citoyens nommés par la Maison Blanche ainsi que par les présidents des deux Chambres du Congrès.
Elle dresse l’état des lieux de la liberté religieuse sur la planète et dénonce les menaces qui pèsent sur elle. Chaque Etat est ainsi passé à la loupe
Dix-sept champions de l’intolérance
Cette Commission classe les pays en fonction de l’intensité de leurs mesures discriminatoires en matière de croyances. Les champions de l’intolérance sont classés dans la catégorie « pays particulièrement préoccupants » (CPC). Un cran en-dessous figurent les Etats qui filent un mauvais coton et doivent faire l’objet d’un examen ultérieur. Ils sont classés dans la « liste spéciale de surveillance » (SWL) (1).
L’USCIRF dénonce dix-sept Etats « particulièrement préoccupants ». Sans surprise, on y distingue les régimes dictatoriaux ou de très faible intensité démocratique: la Birmanie, la Chine, Cuba, l’Erythrée, l’Iran, le Nicaragua, la Corée du Nord, le Pakistan, la Russie, l’Arabie Séoudite, le Tadjikistan, le Turkmenistan, l’Afghanistan, le Nigéria, la Syrie, le Vietnam.
Le cas de l’Inde
Mais on relève aussi la présence de la démocratie la plus peuplée de la terre, l’Inde, même si cette flatteuse réputation est en train d’être sérieusement écornée par la politique autoritaire de son premier ministre Narendra Modi.
Le chef du gouvernement indien et son parti national-populiste BJP s’efforcent d’avantager la religion majoritaire, l’hindouisme, sur les autres dont l’islam et le christianisme.
Ainsi sur 29 Etats composant l’Union indienne, 11 ont adopté des lois anticonversion pour empêcher des hindous de se convertir vers une autre religion, malgré l’article 25 de la Constitution indienne qui garantit la liberté d’appartenance religieuse.
Ces lois anticonversion obligent les hindous qui veulent se convertir au christianisme ou à une autre confession à suivre un parcours bureaucratique tellement complexe et aléatoire que la conversion est le plus souvent rendue impossible, comme l’indique, via l’agence Fides du Vatican, le père Devasagayaraj M. Zacharias
Le pire est que le BJP de Modi veut étendre ces lois anticonversion à l’ensemble de l’Union.
La société indienne résiste
Cela dit la société indienne résiste. Ainsi, le BJP vient de perdre les élections (au profit du Parti du Congrès) dans l’Etat du Karnataka alors que le gouvernement régional avait adopté l’an passé une loi anticonversion fort radicale.
En outre, le 9 avril 2021, la Cour Suprême avait rejeté la généralisation de ces lois à l’ensemble de l’Inde.
En revanche, impossible de résister en Chine, en Iran et dans les autres dictatures faisant partie des « pays particulièrement préoccupants ». Dans ces nations, l’oppression des consciences ne cesse de progresser selon le rapport de l’USCIRF.
C’est l’intime qui est en jeu
S’attaquer à la foi religieuse, c’est atteindre l’intime de chaque sujet des Etats autoritaires. C’est pourquoi des Etats officiellement athées, comme la Chine et la Corée du Nord, attachent tellement d’importance à, sinon éradiquer, du moins contrôler très sévèrement toute activité religieuse.
Prier, c’est aussi s’échapper. Communier, c’est aussi rompre, ne serait-ce qu’en un instant fugace, le lien avec le Chef. Celui-ci n’accepte aucun concurrent. Et le rival est d’autant plus dangereux qu’il est invisible dont insaisissable.
D’autres Etats autoritaires ne répriment pas toutes les religions. Leur but est d’ériger la confession majoritaire en unique religion d’Etat afin de la transformer en facteur d’identité nationale. L’aspiration spirituelle doit alors absolument se circonscrire dans un cadre étroit. Si elle déborde, c’est aussi le lien avec le Chef qui risque d’être rompu.
Dès lors, se battre pour la liberté de changer de religion ou de refuser d’adhérer à une confession, ce n’est pas préserver un certain confort moral qui ne concernerait que les croyants. C’est l’intime même de la liberté de chaque être humain qui est en jeu.
Jean-Noël Cuénod
1 Cette « deuxième division » est formée de l’Algérie, la République centrafricaine, l’Azerbaïdjan, l’Egypte, l’Indonésie, l’Irak, la Kazakhstan, la Malaisie, le Sri Lanka, la Turquie et l’Ouzbékistan. En outre l’USCIRF dénombre une troisième catégorie relative aux entités non-gouvernementales qui portent atteinte gravement à la liberté religieuse. Il s’agit de sept groupes liés à l’islamoterrorisme.
Cet article est paru vendredi 19 mai 2023 dans le magazine numérique BON POUR LA TÊTE-Média Indocile https://bonpourlatete.com/