Se méfier des mots en « isme ». Toujours. Sur l’isthme des « ismes », ça se bouscule, ça se cogne, ça fait mal. Ce suffixe a couvert tellement de massacres…Pourtant, il a aussi permis d’ouvrir les sociétés vers des horizons plus sereins. Alors, nous allons en essayer un nouveau, « vivantisme ». Pas très jolie, la consonance. Mais il y a eu pire.

Depuis l’Antiquité, l’humanisme est ce mouvement de la pensée qui a placé l’être humain au centre de tout ce qui existe.

Un bémol sonore d’emblée: pendant des siècles, c’est l’homme qui s’est installé dans cette posture centrale, rejetant la femme dans les marges.

Dans ces conditions, peut-on parler d’humanisme lorsque la moitié de l’humanité est reléguée dans le subalterne? A l’évidence non.

Les femmes ont dû livrer bien des combats avant de parvenir à prendre place au sein du « soleil humanisme » autour duquel tout tourne. Et encore, cette co-centralité demeure fragile.

« L’Homme est la mesure de toute chose »

A la suite de Protagoras, l’humanisme a fait de l’homme, puis de l’humain, la mesure de toute chose.

Cette pensée a fourni aux individus de puissants arguments pour s’opposer à l’oppression menée par quelques uns contre tous. Des rois en ont perdu la tête… L’humanisme a donc donné de l’air aux humains asphyxiés par les pesanteurs de tous ordres: économique, culturel, religieux, politique, familial, clanique.

Le mouvement des Lumières, qui a bouleversé le monde occidental au XVIIIe siècle, a permis à l’humanisme de s’exprimer avec une ampleur particulière.

C’est grâce à lui que les droits de l’homme, puis de l’humain nous ont permis de vivre en liberté, avec une justice qui, pour se situer à des années-lumière de la perfection, a toute de même dressé quelques limites à la marche des pouvoirs.

Evidemment, cela ne concernait que les nations industrielles à l’intérieur de leurs frontières. A l’extérieur, notamment lors des colonisations, l’humanisme n’avait plus cours!

Changement de logiciel avec le bouleversement climatique

Au XXIe siècle, un évènement majeur oblige l’humanité à changer radicalement de logiciel: le bouleversement climatique.

Si chacun de nous a pu louer les bienfaits de l’humanisme en matière de liberté, de créativité, de justice, ses aspects négatifs surgissent aujourd’hui de façon criante.

On mesure désormais les ravages de l’idée-totem de l’humanisme: « l’homme est la mesure de toute chose ».

En se prenant pour le soleil autour duquel tout gravitait, l’humain s’est placé dans la position du despote, pas même éclairé, du destructeur de tout ce qui contrarie sa route vers son seul lui-même.

Or, toute action connaît son choc en retour. Plus virulente fut l’action, plus intense sera le choc en retour. L’humain risque désormais sa peau en tant qu’espèce.

Le vivant…revit!

C’est désormais le vivant qui devient « la mesure de toute chose ». Tout le vivant: le minéral, le végétal et l’animal dont l’humain fait partie.

L’humanisme était encore inspirée par le vieux logiciel des hiérarchies bien établies avec l’humain au sommet. Cette hiérarchisation masquait le fait que tout est solidaire dans le vivant.

C’est désormais le « vivantisme » qui doit, non pas supprimer l’humanisme, mais l’inclure dans une autre idée-totem qui place l’humain en état de co-responsabilité avec le vivant.

Chaque vivant cherche à persévérer dans son être et doit parfois, pour obéir à cette loi, supprimer un autre vivant. Celles et ceux qui la connaissent savent que la nature n’est pas le monde enchanté des bisounours. Mais ces suppressions entre vivants restent dans une mesure acceptable par tous les autres vivants car elles se limitent à la seule subsistance.

L’enfer du « toujours plus »

C’est l’être humain qui, dévoré par son hybris, en veut toujours plus et fait de l’exagération, voire des abus, son mode de vie privilégié.

L’humanisme ne s’est pas opposé à cet hybris car sa hiérarchisation des espèces l’en a dissuadé. C’est donc au « vivantisme » de prendre le relai car, désormais, la cupidité humaine, si elle persiste, anéantira tout, y compris les humains.

Comme tout mouvement de la pensée-action, le « vivantisme » recèle des aspects négatifs.

Pour l’instant, cette idée-totem n’est pas assez développée pour qu’ils apparaissent tous clairement.

Les aspects négatifs du « vivantisme »

Toutefois, on peut en entrevoir certains, dont son détournement par des forces fascistoïdes qui, sous prétexte de sauver la nature, imposeront des dictatures d’autant plus impitoyables qu’elles auront notre survie comme motif de son système oppressif.

Le « vivantisme » sans humanisme dérivera un jour ou l’autre, dans ces formes fascistoïdes. Dès lors, développer l’humanisme au sein du « vivantisme » comme une vigie contre les dérives autoritaires relève de l’indispensable hygiène sociale et politique.

Non pas supprimer l’humanisme mais l’inclure dans une idée-totem plus vaste.

Jean-Noël Cuénod