A l’Assemblée nationale, le chef de la France Insoumise fustige la Confédération à propos de la convention fiscale franco-suisse sur l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Illustration d’une certaine détestation réciproque.La discussion devait se dérouler dans l’apaisement à l’Assemblée nationale, lundi dernier. Après 68 ans de tergiversation, la France et la Suisse sont tombées d’accord sur le statut fiscal de l’aéroport commun aux deux pays, celui de Bâle-Mulhouse. Le parlement français l’a d’ailleurs accepté sans difficulté. Ne perdant jamais la moindre occasion de faire son intéressant, Jean-Luc Mélenchon a aussitôt saisi le prétexte de cette convention pour traîner la Suisse dans la boue, la traitant, entre autres, de «centre international du blanchiment de l’argent du sang».
Les médias français n’ont pas relevé la diatribe de l’helvétophobe primaire. Il faut dire que la plupart d’entre eux ont vis-à-vis de la Confédération l’incompréhension de la poule devant un couteau. Suisse, le couteau, évidemment. Ce qui ne simplifie pas la chose, avec toutes ces lames, ces tire-bouchons, ces cantons, ces communes, ces pouvoirs multiples…
Les médias suisses, en revanche, n’ont pas manqué de jeter Méluche dans un sac d’opprobre pour le flanquer dans l’une de ces stations d’épuration que les Français ont eu tant de peine à installer dans la partie lémanique qui leur est dévolue. C’est faire beaucoup d’honneur à un feu de bouche dont le chantre du chavisme gaulois est coutumier.
A mes compatriotes suisses courroucés, je ferai remarquer que si nous trainons cette réputation détestable de receleurs mondialisés, nous le devons surtout à nos banquiers qui se sont comportés comme des voyous prédateurs et cupides pendant trop longtemps et qui n’ont cédé que sous la pression du géant américain.
Cela dit, si ledit géant s’est attaqué à la finance helvétique, c’est parce que cette place était devenue contraire à ses intérêts après l’effondrement de l’empire soviétique. N’y voyez aucun accès inopiné de pureté morale.
La Suisse bancaire n’est donc plus ce qu’elle était. Si Mélenchon veut dénoncer d’autres «centres internationaux de blanchiment», la tâche ne lui manquera pas, au sein même de l’Union européenne : Irlande, Pays-Bas, Luxembourg, Autriche. Il pourrait même dénoncer les Etats-Unis. En tapant sur la seule Confédération, Mélenchon a une guerre financière de retard. Au moins!
Alors pourquoi la Suisse ? Il ne faut pas dédaigner le côté pratique pour l’imprécateur de manipuler des clichés, même s’ils sont éculés. Méluche ne s’embarrasse jamais de ce genre de détails. Mais la sortie mélenchonienne s’inscrit également dans un contexte plus vaste.
Mélenchon helvétophobe contre MCG francophobe
Le Plouc est certes mononational helvète mais il n’a jamais cessé de faire des va-et-vient entre la Suisse romande et la France. Et constate que des deux côtés, s’est installée une forme larvée de détestation réciproque, mêlée d’indifférences, d’incompréhensions et de mépris. La francophobie est même devenue le fonds de commerce électoral du Mouvement des Citoyens Genevois (MCG) qui a érigé les propos d’après-boire au rang d’idéologie et le débat politique au niveau, non pas des pâquerettes, mais de leurs racines.
Notez bien que cette ambiance maussade ne concerne que la Suisse romande. Les Suisses alémaniques et italophones, eux, ne pensent strictement rien de la France. Peut-être même nourrissent-ils vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Italie une grogne de même nature. La Suisse s’est construite en grande partie pour éviter que ses grands voisins empiètent sur son indépendance. Ça laisse des traces.
Les relations qu’entretiennent les Suisses romands avec la France sont forcément ambiguës. Une grande partie de leurs ancêtres – à Genève, Neuchâtel, Vaud – avaient fui les massacres perpétrés par la monarchie française contre les protestants. Dès lors, des récits familiaux se sont élaborés en donnant de la France une image particulièrement déplaisante. La Saint-Barthélemy, c’est loin, certes. Et les descendants des Huguenots ont oublié les événements historiques. Mais de ces récits familiaux, il reste toujours une sorte de musique aigrelette qui attend, tapie dans l’inconscient, d’être réveillée par un fait d’actualité. Et la musique aigrelette peut alors se transformer en fanfare.
Malgré tout, l’Histoire détrompe souvent ses caricatures. Les Genevois viennent de célébrer l’Escalade de 1602. Ainsi, Genève, qui n’était pas encore suisse, a victorieusement repoussé les assauts de la Savoie, qui n’était pas encore française. Or, le plus solide soutien des Genevois n’était autre que le Roi de France Henri IV, un ex-protestant qui, il est vrai, craignait aussi que le Duc de Savoie Charles-Emmanuel ne convoitât son trône. Le Vert Galant avait massé des troupes à proximité de Genève pour la libérer au cas où elle aurait été prise par le Duc.
Et si Napoléon Bonaparte a jeté l’Helvétie dans le chaudron des guerres impériales, il a aussi établi les fondations de la Suisse moderne en rédigeant son Acte de Médiation.
Quant à la France, sa culture n’aurait pas la même saveur sans l’apport de Jean-Jacques Rousseau, Germaine de Staël, Benjamin Constant, Amiel, Blaise Cendrars, Le Corbusier, Jean-Luc Godard, Alberto Giacometti. Sans oublier que la Tour Eiffel aurait dû s’appeler Tour Koechlin, du nom de son concepteur franco-suisse.
Les caricatures populistes, genre Mélenchon ou façon MCG, qui défigurent le pays voisin font plaisir aux réseaux sociaux. Mais elles rongent petit à petit, les liens mutuels. C’est pourquoi les politiciens qui s’y adonnent sont de malfaisants irresponsables. Car, ils ne changeront jamais la géographie. Impossible de placer Mulhouse dans les Pyrénées. Ou Annemasse sous les Tropiques. Nous sommes condamnés à nous entendre. Et surtout à nous écouter pour que les propos phobiques tombent dans la seule oreille qui leur vaille, celle des sourds.
Jean-Noël Cuénod
Bien envoyé!
ça soulage
merci
Marc